Chroniques

par bertrand bolognesi

Le carnaval (gastronomique) des animaux
spectacle de Bernard Friot et Pascal Neyron

musique de Camille Saint-Saëns et Jean-François Verdier
Opéra national de Paris / Amphithéâtre Olivier Messiaen
- 26 mars 2022
À l'Opéra Bastille, "Le carnaval (gastronomique) des animaux"...
© studio j’adore ce que vous faites

Bienvenue à Lionville !
Que dirait-on d’un roi sans divertissement ? Qu’il est, à coup sûr, dangereux. Mais ne l’est-il pas plus lorsqu’il s’amuse ? Délaissons pour un temps nos illustres littérateurs et décrétons, en toute simplicité, avoir atteint tout récemment notre sixième année et onze mois d’existence – par exemple et pourquoi pas ?... Installé sur les gradins de l’Amphithéâtre Olivier Messiaen, c’est à un grand concours gastronomique que nous assistons, présidé par le Lion, tyran aveugle et grincheux. Le maître d’œuvre en est une sympathique Souris, plus ou moins soumise aux règles d’un protocole changeant dont le gardien s’avère être un… Gorille, bien sûr ! Ici, plusieurs associations animalières – comprendre comme des groupes d’animaux et non comme des organismes de défense de la cause animale – ont concocté des plats très élaborés afin de les présenter à un jury que composent Messieurs Col-Vert, Bouc, Escargot et Cygne. La tablée forme le plan éloigné de la scène, devant lequel sont installés, en contrebas, une dizaine d’instrumentistes, tous en tenue de marmiton, dirigé par un chef.

Mais quel est donc ce gros instrument placé entre le pupitre et le public ? Tout donne à penser qu’il pourrait bien s’agir d’une marmite. Après l’arrivée du Lion, bientôt assis en président du jury, la Souris, dont le propos est traduit en langue des signes par le Gorille, introduit chaque met dont elle annonce pompeusement le titre avant de l’aller cueillir dans le vaste chaudron. De l’altiste au pot jusqu’au vol-au-vent de flûtiste sauce tremolo, les péripéties gustatives se disputent la vedette avec les aléas de la vie conjugale du souverain, ses rugissements d’humeur, décrets abusifs, une intrigue de palais, la grève et même un embryon de révolution, étouffé dans l’œuf, durant lequel le félin apeuré file abriter sa décoiffure en coulisse !

La célèbre partition de Camille Saint-Saëns, Le carnaval des animaux, est à l’honneur d’une adaptation libre signée Jean-François Verdier – le chef des jeunes musiciens, puisés dans ceux en résidence à l’Académie de l’Opéra national de Paris et dans l’Orchestre Atelier-Ostinato –, où l’on entend de nombreuses autres citations, du barbiere rossinien à la Danse macabre. Dans l’efficace scénographie de Thibaut Fack, qui emprunte au monde du cirque la notion de piste, et les costumes clairement caractérisés de Sabine Schlemmer, les aventures des croque-notes, du gigot de violoncelliste basse température en sauce verveine, des brochettes de contrebassistes sauce curcuma, du sauté de musiciens à l’Australienne, du duo de clarinettiste et pianiste à la purée de châtaignes et des orecchiette au ragoût de violoniste sont savoureusement commentées par Sol Espeche en Souris hardie et virevoltante, quand l’excellent Gorille de Rodolphe Harris – quelle composition extraordinaire, vraiment ! – finit, de traducteur, par se faire lui aussi commentateur, à en juger par quelques gestes qui ne trompent guère. Après d’infâmes croquettes de petits chanteurs sur lit d’algues marines en sauce huîtres bretonnes qui « puent la poiscaille », s’écrie messire Lion qui d’emblée les disqualifie sans que personne n’y goûte, parce qu’on « n’est pas des cannibales, tout de même : on mange des musiciens, pas des animaux ! », le péril menace à travers une pièce montée à la crème de pizzicati et aux éclats de chansonnettes, traitreusement livrée par le Club des Fossiles de Saint-Loup-sur-Semouse. Non, le numéro Un du régime ne succombera pas à la sucrerie empoisonnée ! Qui a fait le coup ? Le discret Escargot, peut-être, dont on répète à l’envi qu’il est de Franche-Comté : et s’il se révélait Lupéen, après tout ?

L’énigme demeure entière. Ce qui est sûr, c’est que le Lion, contrairement à l’Ours son prédécesseur sur le trône à en croire Monsieur Pastoureau, ne se laisse pas destituer mais qu’il recouvre la vue à la fin du spectacle que Pascal Neyron a mijoté sur le texte de Bernard Friot. À confirmation de règne grande décision s’impose : lui et son peuple deviennent dès lors végétariens – jeunes musiciens, rassurez-vous, les temps ont changé. Grand bravo à Adrien Gamba-Gontard, Lion bien campé que les petits adorent spontanément ! À nous aussi, ces personnages plurent, parce que nous avons atteint tout récemment notre sixième année et onze mois d’existence et que cet âge de raison où tout est tragédie n’est pas encore d’actualité.

BB