Chroniques

par jérémie szpirglas

Le Balcon

Musique sur Ciel / Église Saint Michel, Cordes
- 20 juillet 2010

Une démarche comme celle du Balcon [lire notre chronique de la veille] n’est pas sans soulever quelques réserves et questionnements cruciaux sur l’avenir de la musique et ses modes de représentation – des questionnements qui habitent depuis bien longtemps d’autres formes de musiques patrimoniales, comme la musique classique indienne, par exemple. Ce concert, dont le programme s’organise autour de l’œuvre et de la personne de Michaël Levinas, compositeur invité du festival Musique sur Ciel, arrive comme une mise au défi de ce projet audacieux de sonorisation systématique de la musique.

Cinq œuvres, donc, aux effectifs distincts, qui illustrent les faiblesses, les qualités, et les défauts de la démarche, et qui la questionnent en son cœur.
Commençons par les défauts.
Dans une œuvre aussi âpre et violente que Kottos de Xenakis – défendue avec une ardeur et un brio rare par le violoncelliste Askar Ishangaliyev –, on constate que la sonorisation gomme en partie les reliefs. Les nuances sont écrasées, laissant place à un fortissimo monocorde et plat, les passages sul ponticello ou en son écrasé perdent de leur couleur et de leur charme – on n’entend que la saturation résultante, sans les détails de jeu, certes difficilement perceptibles même sans sonorisation.

De même, dans la Romance pour trompette et piano d’Enescu, la prise de son, qui ne pardonne décidément jamais rien, ne laisse pas passer les petites erreurs et menues faiblesses dans le jeu du trompettiste Henri Deléger – erreurs et faiblesses qui seraient sans doute passées inaperçues pour l’essentiel du public si le micro ne les avaient si cruellement reproduites. Et si le ton vespéral et mélancolique des phrasés passe bien – un passage entier avec sourdine semble imiter avec douceur et délicatesse un fredonnement de voix humaine –, on ne peut ignorer un brin de vulgarité dans la brillance du timbre dès que la nuance dépasse le mezzo forte.

Mais quand vient La Romance d’Ariel, mélodie de Claude Debussy transcrite pour voix et ensemble de chambre par Michaël Levinas, on ne peut s’empêcher de penser que ces quelques défauts perçus au début du concert ne sont peut-être que circonstanciels, dus à une préparation un peu hâtive du dispositif ou à une erreur de manipulation. La transcription de Levinas, pleine de savoureuses et éloquentes couleurs, y est merveilleusement mise en valeur. L’harmonie de cette partition du jeune Debussy est parfaitement mise en abyme, avec un travail admirable sur la profondeur de champ de l’image sonore. La très jolie voix de la jeune soprano Julie Fuchs, au timbre chaud, un brin cuivré, pourvue de phrasés sensibles et d’une énonciation cristalline, est comme une belle fleur éclose au soleil du matin dans une prairie verte fleurant bon la rosée.

L’hypothèse d’une préparation hâtive se confirme avec les Konzerstück Op.113 et Op.114 pour clarinette, cor de basset et piano de Mendelssohn, transcrits par Arthur Lavandier pour clarinette, cor de basset et quintette à cordes. Ces deux pièces lumineuses et enjouées, écrites sur le ton de la plaisanterie (Mendelssohn leur donne pour sous-titre La bataille de Prague, grand duo pour beignets aux prunes et tartes à la crème), déroulent, dans un registre tendre et drôle, un dialogue quasi-opératique entre la clarinette et le cor de basset. Tenus respectivement par Ghislain Roffat et Iris Zerdoud, agiles comme deux lapins dans un pré, les deux parties solistes sonnent fantastiquement dans la petite église, alors que le quintette semble étouffé, comme jouant avec sourdines – la balance, à l’évidence, n’a pas été faite correctement.

La démarche du Balcon prend, en revanche, tout son sens dans le Concerto pour un piano espace n°2 de Michael Levinas, et son incroyableEtude pour piano espace qui lui tientlieu de cadence introductive. Le voyage dans l’espace sonore qu’est la caisse du piano, voyage à la fois dans l’espace et le temps – avec des références multiples à l’histoire de l’instrument et de ses précurseurs, et en particulier aux Jeux d’eaux à la Villa d’Este de Liszt –, est singulièrement sensible, voire palpable, sous les mains du pianiste Alphonse Cemin et grâce à l’habile réalisation informatique de Florent Derex. Fabuleusement puissante et éloquente, la partition prend ici des allures telluriques fascinantes, dont on ne se remet pas de sitôt.

JS