Chroniques

par david verdier

La traviata | La dévoyée
opéra de Giuseppe Verdi

Festival d’Aix-en-Provence / Théâtre de l'Archevêché
- 14 juillet 2011
La traviata, opéra de Giuseppe Verdi
© pascal victor | artcomart

Pour apprécier cette Traviata aixoise, il faut accepter que l'importance dévolue à l'aspect strictement théâtral l'emporte aux dépends du strictement musical. Pour preuve, cette réflexion de Jean-François Sivadier : « parce que Verdi met en scène des gens simplement humains, il me paraît important de partir des chanteurs eux-mêmes plutôt que de l'idée d'un personnage ». Ni vraiment opératique mais éminemment théâtral, c'est dans cet entre-deux que se situe la production. Le quatrième mur séparant public et chanteurs a disparu ; il règne une ambiance de répétition générale, un sentiment d'immédiateté qui rayonne vers le public. Il est utile de rappeler que Verdi avait le projet de placer un miroir en fond de scène pour renvoyer au public sa propre image, matérialisation de la métaphore stendhalienne du roman-miroir qu'on promène le long d'un chemin. Les chanteurs ne sont pas isolés sur scène dans leurs propres rôles mais laissent transparaître leur personnalité, invitant le public à participer par sa présence au spectacle.

Le contrecoup de cette idée de mise en scène est qu'on ne croit pas une seule seconde à la fiction narrative qui fait d'ordinaire la magie de l'opéra. L’œuvre est tenue à distance par le choix résolu de mettre en abîme la mise en scène. Sivadier reprend ce principe, hérité de son spectacle Italienne, scène et spectacle (1996) dans lequel le public assistait, placé dans une fosse d'orchestre, à une répétition de Traviata. On retrouve cette idée trop usée consistant à ne jamais baisser le rideau afin qu’en entrant le public découvre les chanteurs évoluer déjà sur scène. Cette ambiance back stage indique la prééminence du théâtre – un théâtre fait de quelques toiles peintes, de chaises éparses et d'un mur de briques en fond de scène. Seuls quelques lustres en cristal rappellent les artefacts des intérieurs dix-neuviémistes bourgeois. Cette nudité très sommaire tente d'imposer la simplicité comme vertu première d'un art de la (dé)mise en scène au seul service des chanteurs. Petite astuce qui sent les planches : comme on est censé beaucoup boire dans l'intrigue, les chanteurs descendent cul sec verres et bouteilles d'eau, ce qui permet accessoirement de passer les nombreux obstacles techniques dans de bonnes conditions. Plus critiquables, en revanche, le grand rideau qu'on agite pour créer un effet de vagues, la paillasse centrale en guise de lit et les indigents panneaux peints tombant des cintres – entre cache misère et absence flagrante d'imagination. Que dire enfin de cette ambiance jet set avec costumes et maquillages déjantés ?

Les limites d'un tel projet sont donc étroitement liées aux choix des interprètes, non seulement en fonction de leur aisance vocale mais également de leur talent d'acteur. En ce qui concerne les deux Violetta aixoises, Irina Lungu et Natalie Dessay, on peut dire que les mérites ne sont pas répartis de la même manière. La retransmission (et certainement le DVD à venir) plaident largement en faveur de la seconde ; le spectacle semble taillé pour l'actrice Dessay mais la partition n'est pas à la mesure de sa voix. La tension continue de l'émission et les aigus attaqués par en-dessous font penser qu'il s'agit pour elle d'un défi trop ambitieux. Ce serait oublier l'évidente présence scénique, capable de faire oublier les égarements techniques.

En ce jour de fête nationale, c'est la prestation du soprano russe que nous avons pu apprécier. Malgré un format assez léger, la voix est correctement placée mais d'une prudence à fleur de notes. On comprend vite que le mythe des trois voix restera inaccessible ; le chant est uniforme, avec des graves pas toujours assurés. Malgré la noirceur de ses cheveux (contrairement à la blondeur déplacée de Dessay), Irina Lungu n'est pas pétrie dans la chair du péché. Sa Violetta est composée sur papier glacé, loin de l'incandescence requise. Elle vibre mais ne brûle pas, toujours dans un faux-semblant de débauche. Seul l'Addio del passato est réussi – moment sublimé par la présence d'un figurant qui efface lentement l'inscription Violetta/Traviata du mur. Maquillée au début et démaquillée à la fin, le personnage suit sa trajectoire tragique et solitaire, amplifiant le manque d'épaisseur scénique et vocal des autres protagonistes.

Le premier aird'Alfredo, Libiamo, libiamo ne'lieti calici, cueille à froid Charles Castronovo. Le timbre a tendance à matifier, malgré une belle rondeur dans l'émission. Au manque de mordant s'ajoute une justesse aléatoire dans des fins de phrases souvent forcées. Le Germont de Ludovic Tézier sonne creux et fourmille de ports de voix d'assez mauvais goût. Le timbre est monochrome, avec une fâcheuse tendance à grisonner de manière assez rêche dans le médium.

Côté fosse, ce n'est pas un mince défi de parvenir à faire entrer un orchestre comme le London Symphony Orchestra – succéder aux Berliner Philharmoniker n'est pas chose facile. Le lissage du son traduit un ensemble plus accoutumé à la scène qu'à la fosse. Mis à part quelques contretemps périlleux aux cuivres et une clarinette assez prosaïque, l'interprétation ne souffre d'aucun défaut majeur. Louis Langrée est un chef attentif à souligner les détails de la partition, même avec une ampleur de battue très « symphonique » qui surligne le premier temps des rythmes ternaires, et pas toujours adaptée au format vocal des interprètes.

DV