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Chroniques
La scala di seta | L’échelle de soie
farsa comica de Gioachino Rossini
Trois décennies avant d’achever son dernier ouvrage pour l’Italie – le très sérieux Semiramide (Venise, 1823) [lire notre chronique du 26 novembre 2010] –, Gioachino Rossini (1792-1868) se forme au métier avec quelques farces à destination du Teatro San Moisè : La cambiale di matrimonio (1810), L’inganno felice, La scala di seta, L’occasionne fa il ladro (1812) et Il signor Bruschino (1813) [lire notre critique du DVD]. Le théâtre vénitien raffole de ces pièces courtes qui visent au succès financier à partir de moyens limités (effectif vocal et orchestral, temps de répétions, etc.). Pour un jeune compositeur, c’est une marche vers la reconnaissance, et l’on sait quel succès rencontrerait le futur directeur du Théâtre-Italien, jusqu’à la naissance de Guillaume Tell (Paris, 1829) [lire notre chronique du 11 septembre 2015].
Créé le 9 mai 1812 sur un livret de Giuseppe Foppa – inspiré par L’échelle de soie (Paris, 1808) du Français Pierre Gaveaux –, La scala di seta reprend le thème du mariage secret, popularisé notamment par Cimarosa [lire notre critique des DVD Arthaus et EuroArts]. Chaque soir, la jeune Giulia reçoit Dorvil qu’elle a épousé en cachette de son tuteur Dormont. Pour ce faire, le jeune marié escalade la façade au moyen de la fameuse échelle. Bien évidemment, un prétendant vient faire sa cour, encouragé par le barbon et détesté par Dorvil : c’est l’élégant Blansac, qui finira marié à la cousine Lucilla, folle de lui depuis longtemps.
Connue par une captation au Festival Rossini de Pesaro en août 2009 (Opus Arte), la mise en scène de Damiano Michieletto tire efficacement parti du huis clos, réalisée par Silvia Paoli pour ce qui s’avère une première liégeoise de l’ouvrage. Paolo Fantin lui a conçu un appartement contemporain, surmonté d’un miroir incliné qui permet de voir ce que dissimule la hauteur des meubles (la buanderie, et surtout le jardin où Dorvil attend minuit). Outre s’occuper du quotidien (cuisine, ménage, gymnastique, etc.), on espionne derrière murs et portes invisibles, on se cache sous une pile d’oreillers…
Apprécié dans une récente Bohème salzbourgeoise [lire notre critique du DVD], Michieletto sait bannir les temps morts, sensible à l’ambiance de Carnaval d’une farsa qui convoque des comiques variés. Il explique que, par sa musique abstraite, Rossini « ne veut jamais nous plonger dans un sentiment. Il reste en dehors, tout au plus il y fait allusion. Il ne cherche pas les nuances de la passion. Son schéma rythmique, la régularité, le jeu des répliques qui se succèdent amenuisent toute volonté d’impliquer la sphère émotionnelle du spectateur » (entretien avec Franco Pulcini, brochure de salle).
Sous les lumières d’Alessandro Carletti, la Kazakhe Maria Mudryak (Giulia) offre un chant bien mené, soprano agile qui gagnera à plus d’ampleur. Prometteur lui aussi, Ioan Hotea (Dorvil) est un ténor clair et puissant dont la souplesse s’accompagne d’instabilité, ce soir. Dans la plénitude de son art, comme déjà l’an passé [lire notre chronique du 5 février 2015], Laurent Kubla offre rondeur et santé au bellâtre Blansac. Julie Bailly incarne Lucilla, la cousine fouineuse, avec beaucoup d’expressivité et de richesse timbrique – applaudie ici même dans La gazetta du même Rossini [lire notre chronique du 26 juin 2014]. Le sonore Filippo Fontana (Germano) et Federico Buttazzo (Dormont) complètent une distribution fort séduisante.
En fosse avec l’Orchestre de l’Opéra Royal de Wallonie-Liège, habitué à défendre le bel canto rossinien (Il barbiere di Siviglia, Le comte d’Ory, La Cenerentola), Christopher Franklin avance toujours léger, fluide et nuancé. À ses côtés, Sylvain Bousquet articule les récitatifs au clavecin, non sans clin d’œil à la mémoire des auditeurs, tous genres confondus (Peer Gynt ou… The Pink Panther).
LB