Chroniques

par bertrand bolognesi

La rondine
opéra de Giacomo Puccini

Opéra de Nice
- 7 décembre 2008
La rondine, opéra de Puccini à Nice
© ville de nice

C’est à moins de cinq lieues du théâtre d’Aune (1885) qu’eut lieu la création de La rondine, le 27 mars 1917, dans celui de Garnier (1878). Depuis, le huitième opéra de Puccini, tièdement accueilli en son temps, ne devait guère rencontrer de fervents défenseurs. Après les grandes héroïnes qu’avaient été Tosca ou Butterfly, les amours de la demi-mondaine Magda firent pâle figure. On trouvera cependant une parenté plausible entre La rondine et La bohème qui, une dizaine d’années plus tôt, inscrivait dans une veine réaliste son regard sur Paris. Mais sans drame, peut-être sans passion, ce vague air de famille demeure anecdotique.

Comme la Violetta de Verdi, la douce Mimi mourait phtisique ; comme Traviata encore, Magda quitte son protecteur pour un jeune homme, si ce n’est qu’ici, la courtisane cache le passé à son amoureux. L’omniprésence des questions d’argent est un point commun non négligeable aux trois ouvrages. Un étrange sentiment survient pourtant face à La rondine : qu’elle joue une triste partie dont elle connaît l’issue, qu’elle condescende à s’illusionner, sans que rien ne soit vraiment sincère – un illusoire tout-pour-le-tout. Même la naïveté de Ruggero paraît sujette à caution : lui qui fut introduit dans le salon de Rambaldo, comment ne reconnaît-il pas la reine des lieux dans sa rencontre chez Bullier ? De là l’impression d’inaboutissement d’un ouvrage dont Marcel Marnat dit que « dramatiquement, seul le premier acte est digne de Puccini » (in Giacomo Puccini, Fayard, 2005).

Loin d’induire une contamination globalisante, ce constat ne saurait s’appliquer à la partition dont séduit le raffinement. Aussi Alberto Veronesi sait-il nous faire profiter de chacune de ses saveurs, souvent délicates, réalisant des demi-teintes soignées dans un parfait dosage avec une tonicité volontiers sur le qui-vive. Toujours élégant dans une page préservée de tout élan épique, le chef italien conduit les musiciens de l’Orchestre Philharmonique de Nice dans une lecture adroitement dessinée, équilibrant indiscutablement scène et fosse, sans manquer de souligner discrètement la couleur debussyste du prélude du dernier acte.

On saluera l’unité de la distribution réunie sur la scène niçoise. On y retrouve avec plaisir Christine Tocci dont la richesse de timbre paraîtra luxueusement attribuée aux brèves Suzy et Roro. De même Mariette et Bianca interpellent-elles plus l’oreille que de coutume, grâce au chaud mezzo-soprano coloré d’Alexia Ercolani. La très jeune Diletta Rizzo Marin (vingt-quatre ans), entendue dernièrement à Toulouse [lire notre chronique du 29 février 2008], file des aigus charmants en Lisette. Andrew Oakden prête à Rambaldo un baryton superbement velouté, exquisément soyeux dont use un legato remarquable ; si doux, le personnage inquiète. L’aigu lumineux de Giorgio Cascarri incarne aisément l’honnête fraîcheur de Ruggero, rêvant d’une vie modestement partagée dans la protection de sa mère – nous ne sommes pas en mesure de porter une appréciation plus précise sur son travail, entravé par de légères impuretés dues sans doute à quelque refroidissement. À trente-et-un ans, Florian Laconi poursuit avec constance une carrière commencée tôt, comme en témoigne son attachant Prunier qui bénéficie d’un impact franc, évoluant dans un phrasé toujours gracieux. L’onctueuse sûreté de l’émission de Daria Masiero sert parfaitement Magda dont convainc le chant souple et sensiblement nuancé.

Signée Lorenzo Amato, cette coproduction du Festival Puccini de Torre del Lago et de l’Opéra de Nice confond l’évocation du titre, tenant plus du bon mot poétique, avec un motif qui tisserait l’œuvre sous tous ses aspects. C’est faire de La rondine un modèle de symbolisme qu’elle n’est pas, elle qui, bien au contraire, s’enracine à plus d’un titre dans la matérialité. Suffit-il d’habiller fauteuils, murs, robes et vestons de narquois palmipèdes aquatiques pour mettre en scène La mouette (Tchekhov) ? La présence de la chorégraphie s’inscrit dans ce malentendu. On en retiendra toutefois un troisième acte judicieusement désolé.

BB