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Chroniques
La reine des flaques d'eau
spectacle de Délia et Alexandre Romanès
Sous une bruine diaphane, dans la nuit relative de la rue de Courcelles, vous avancez vers le nord-ouest parisien. Là vous attend une famille peu ordinaire : les Romanès. Quelques caravanes, un chapiteau rouge que signale discrètement une guirlande de lumières, quelqu'un soulève le bord de la toile, un doux sourire réceptionne et encourage le geste de l'autre côté : le public est déjà nombreux pour cette nouvelle soirée de La reine des flaques d'eau, le spectacle qui se joue ici depuis décembre et qui fera rêver jusqu'au 18 février [1].
Vous vous installez sur le banc, au deuxième rang, dans la rassurante chaleur des préparatifs. Les enfants du cirque courent sur les tapis, s'étirent, jouent avec cette vraie gravité qu'on n'a qu'à leur âge. Lorsque l'hémicycle est noir de monde, Alexandre Romanès vous souhaite la bienvenue et vous présente Alexandra, sa fille qui chante deux gentilles phrases et se tortille déjà gracieusement, et dans cette tendresse que l'on n'attend plus dans nos méchantes villes s'ouvre une fête qui vous emporte.
Quatre magiciens rythment la soirée : l'enivrant violon de Costel, la facétieuse contrebasse de Dendgalache, la prolixe clarinette deGigel et l'accordéon voluptueux de Florine. Leur musique regarde les numéros s'enchaîner, les aide et les soutient, comme l'envoûtante voix de Délia lancée vers le ciel lorsqu'y danse la sublimement déraisonnable Elonga. Indicible se révèle l'enchantement dès qu'une jeune femme contorsionne la raideur d'une table autour d'un corps qui ne se laisse plus voir, qu'un tentaculaire chapeau à cheveux fait voler la blancheur de balles capricieuses, que la princesse au perroquet donne une amoureuse leçon de vol à son ami, que le froid sourire de l'énigmatique maîtresse du feu vient caresser les mentons, que le funambule Aramis élève son divin équilibre à la fraîcheur de son humour.
En face, vous les regardez, vous les admirez, tandis qu'au fond de la piste, celles qui se sont assises là les veillent, les protègent, les aiment. Chacun prend d'incroyables risques, en toute simplicité, car si l'on est né grand et généreux, on abolit l'esbroufe comme le filet. Et parce qu'au fond vous êtes un gentil petit d'homme, vos yeux s'écarquillent, suivent la course d'un cheval – il n'y a pas de cheval, je vous assure : pourtant, vous l'avez vu – et votre cœur bat, vos mains ne sachant peut-être plus se joindre pour l'hommage habituel. D'ailleurs, la proximité est telle que votre émoi est reçu.
BB
[1] Le Chapiteau du Cirque Tsigane Romanès vous accueille les vendredi, samedi et dimanche à 20h30, ainsi qu'à 15h les samedis et dimanche, au 42-44 Boulevard de Reims, faisant l'angle avec la Rue de Courcelles. Renseignements et réservations : 01 40 09 24 20 et 06 07 08 79 36.