Chroniques

par laurent bergnach

La pietra del paragone | La pierre de touche
opera buffa de Gioachino Rossini

Théâtre du Châtelet, Paris
- 22 janvier 2007
La pietra del paragone de Rossini au Théâtre du Châtelet (Paris)
© marie-noëlle robert

Comédie en deux actes donnée pour la première fois le 26 septembre 1812, La pietra del paragone marque les débuts milanais d’un Rossini tout juste âgé de vingt ans. Dans la lignée de Mozart et Cimarosa, le compositeur vient d’écrire plus d’une farce à succès. Le triomphe accompagne cette nouvelle commande (cinquante-trois représentations au cours de la même saison). Le livret de Luigi Romanelli voit alterner les scènes tendres avec d’autres plus comiques (travestissement buffa), voire satiriques (coquettes vénales assorties d’orgueilleux plumitifs). L’intrigue est simple : soupçonné d’être aimé par intérêt, le comte Asdrubale annonce sa ruine aux trois femmes qui le courtisent. Déguisé en créancier turc, il va piéger chacun des pique-assiettes de son entourage. Seule avec le chevalier Giocondo, Clarice, l’amoureuse sincère, clame son soutien à Asdrubale. Dans l’acte suivant, ce dernier réalise l’intensité de son sentiment envers la jeune femme et tout finit dans la réconciliation générale.

En avril 1821, aficionado de l’œuvre, Stendhal avait souffert d’une création française bâclée (coupures et rajouts ineptes) et, de surcroît, boudée. Aux oubliettes depuis plus d’un siècle, cette Pierre de touche retrouve aujourd’hui le respect qui lui est dû, dans une production originale. Pour mettre en scène un monde où l’argent fait les amitiés (tel ce journaliste corrompu, ancêtre de plus d’un confrère présent dans la salle), Giorgio Barberio Corsetti et le vidéaste Pierrick Sorin ont eu raison de recourir au virtuel. S’il n’est pas au fait des incrustations sur fond bleu à l’égal de la génération Star Wars, le public comprendra très vite le procédé : ce qu’il voit sur le triptyque d’écrans suspendus devant un décor monochrome, ce sont les artistes saisis par des caméras faciales, dont l’image vient se superposer aux vues de la quinzaine de maquettes avancée sur scène. Bienvenu dans un monde artificiel et superficiel. Sagement dosés, les effets poétiques (le comte s’interrogeant sur l’amour, passant du brûleur d’une gazinière aux stalactites d’un réfrigérateur) ou jouant d’une gamme comique variée (mémorables lancers de crêpe, clin d’œil à Sergio Leone, etc.) laissent respirer l’histoire et le jeu des chanteurs.

Peu avares de mimiques, Sonia Prina et Joao Martín-Royo sont magnifiés par de nombreux apartés en gros plan. Vocalement, le contralto apparaît souvent raide sur ses vocalises, le baryton-basse est facilement couvert, mais ce ne sont pas les seuls à faire défaut dans une distribution un peu verte : étroitesse d’émission pour Laura Giordano (Donna Fulvia), confidentialité de Jennifer Holloway (Baronesse Aspasia) ou timbre terne de Christian Senn (Pacuvio). En revanche, on aura apprécié la souplesse nuancée de José Manuel Zapata (Giocondo), les riches harmoniques de François Lis (Asdrubale) et la pâte égale de Filippo Polinelli (Fabrizio), basse promise à un bel avenir. Le genre réclamant légèreté et vivacité, Jean-Christophe Spinosi et l’Ensemble Matheus ont maintenu une belle homogénéité entre fosse et plateau.

LB