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Chroniques
La frontière
opéra de Philippe Manoury
Autant l’annoncer d’emblée : on sort relativement dubitatif de la représentation de l’opéra de chambre La Frontière. Philippe Manoury, après un 60ème Parallèle peu convainquant, il y a quelques années, où l’on constatait un net décalage entre le traitement de l’orchestre et celui des voix, livrait K... à l’Opéra Bastille avec plus de bonheur au printemps 2001. Tous les mediums de l’opéra y étaient travaillés avec une même exigence et le spectacle bénéficiait de la lecture lumineuse du metteur en scène André Engel. Cet après-midi, on a du mal à se sentir concerné par ce qui se passe sur la scène strasbourgeoise qui rejoue la création orléanaise d’il y a trois jours. L’histoire : une jeune femme parcours un territoire en guerre qu’une frontière a coupé en deux, à la recherche de son père auquel elle entend remettre une lettre trouvée à la mort de sa mère. Elle rencontre des partisans, des profiteurs de guerre, une vieille femme dans l’attente désespérée de son fils (qui pourrait être l’homme qu’elle est venue chercher ici) et, finalement, le destinataire de la missive dans le repaire duquel elle s’effondre de fatigue. Pendant son sommeil, l’homme découvre la lettre, la lit, la remet à sa place et, dès le réveil de l’héroïne, fait tout ce qu’il peut pour n’être pas découvert. Si l’intrigue montre au départ peu d’originalité, le livret développe cliché sur cliché, accusant un manque d’imagination assez désolant. Tout repose sur les stéréotypes les plus attendus, le plus grossièrement qui soit. Quant à l’écriture en soi, elle n’est qu’indigence et lieux communs.
Autre mauvaise surprise : la proposition du metteur en scène Yoshi Oïda ne se montre pas du tout à la hauteur de son Curlew River ou du Chant de la Terre. Si l’on y reconnaît quelques couleurs, une justesse indéniable quant au choix des matières, son spectacle est cousu d’un fil si blanc qu’on anticipe à peu près tout ce qui se passe durant cette difficile heure quarante d’opéra. Jusqu’à la scène de viol avorté, d’une laideur et d’une maladresse pathétiques, suivie des aveux lourdement hitchcockiens qui n’en finissent plus. Ils sont confiés à Dominique Visse dont nous déplorions récemment les systématiques grimaces et gesticulations : c’est dire le numéro de cabotinage mélodramatique auquel il s’adonne. Lorsque vous sentez qu’un verre de trop pourrait être fatal, vous cessez de boire ; ici, rien à faire pour tenter de tarir un débit insupportable, un jeu souvent vulgaire, grossièrement racoleur et parfois même tout à fait imbécile, qui finit par rendre nauséeux.
Si la proposition instrumentale de Manoury fonctionne mieux, elle repose sur des procédés habituels à l’auteur, sans surprise. On peut donc conclure qu’il faudra attendre le prochain ouvrage pour connaître quelque dépassement. Devant l’absence de véritable traitement de la lumière, on reste pantois ! Et l’on retrouve la vieille recette du plein-feux face public qui ne veut pas dire grand’chose, vraiment.
Heureusement, il y a quelques personnalités attachantes sur le plateau : Vincent Le Texier jouant cet homme enfin retrouvé à la fin du spectacle, dans une noble présence, lui prêtant un timbre à nul autre pareil, bien qu’un peu fatigué et pas toujours très exact ; le baryton Doris Lamprecht qui s’avère excellent comédien en plus d’offrir une vraie vocalité à son personnage, ; la touchante marcheuse de Virginie Pochon qui parvient à rendre crédible son rôle – et ce pourrait être un exploit. Bravo aux musiciens de l’ensemble Ictus dont la compétence et la précision ont satisfont sans doute le compositeur qui les dirigea.
BB