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Chroniques
La fille du régiment
opéra de Gaetano Donizetti
Une bien petite chose en vérité… mais, comme souvent à l'opéra, le miracle opère et change en or le plomb esthétique le plus ordinaire. Pour apprécier cette Fille du régiment de Gaetano Donizetti, il faut replacer le livret hors du contexte nationaliste qui a prévalu au succès de l'ouvrage, fréquemment donné tous les 14 juillet pour célébrer la victoire des alliés en 1918. Créée en 2007 à Covent Garden, cette production a fait le bonheur de la perfide Albion avant de connaître enfin le succès de ce côté-ci de la Manche. C'est assurément un des événements les plus attendus de cette saison et il y a fort à parier qu’à cette occasion Nicolas Joel réunira tous les suffrages. Le metteur en scène Laurent Pelly puise largement dans l'esthétique de la bande dessinée pour imager un univers à la mesure de sa chanteuse fétiche, Natalie Dessay.
Du point de vue de l'appropriation de la scénographie à la dimension de l'œuvre, cette démarche est une parfaite réussite qui touche un public bien plus large que la faible marge des « spécialistes » de l'opéra. Ce n'est pas le moindre des mérites de cette production que de soulever l'enthousiasme sans appauvrir pour autant la valeur esthétique de la partition.
On pardonnera les approximations historiques liées à la transposition de l'intrigue du premier Empire à la guerre de 1914-18, comme la présence d'un tyrolien en costume traditionnel au milieu des vareuses bleu-horizon et des chars Renault, plus appropriés à la guerre de tranchées et au climat des champs de bataille du nord de la France. Coup de chapeau, en revanche, à la qualité et à l'imagination des décors de Chantal Thomas, tout particulièrement cet ensemble de cartes d'état-major dépliées sur lesquelles évoluent les protagonistes. Passant de leur utilisation en temps de guerre à l'allusion discrète à la carte de Tendre de l'amour précieux, ce support de lignes et de formes colorées acquiert une dimension poétique à la fois insolite et touchante.
Avec les précautions d'usage, il faut percevoir l'humour cocardier à travers le traitement caricatural que Pelly nous en donne ; ainsi ce poilu en uniforme comptant fleurette à une « marraine » de cœur ou ce pétulant coq gaulois qui pousse son cri victorieux pour le Salut à la France. Le plateau vocal sublime cette vision au troisième degré des sentiments patriotiques croisés aux sentiments amoureux. La générosité et la complicité palpables entre les chanteurs donne à la soirée un air de divertissement général et très joyeux.
La prestation de Juan Diego Flórez est attendue comme un sermon souverain par une partie du public, chauffée à blanc et par avance à genoux. La montée irrésistible vers les neuf contre-uts enchaînés d’Ah ! mes amis, quel jour de fête ! tient littéralement de l'anthologie et mérite les longues minutes d'applaudissements qui interrompent l'action. Face à lui, une Natalie Dessay bouillonnante de théâtre et de musicalité promène son impayable profil de Fifi Brindacier au milieu des soldats. La prise de rôle est à ce point réussie qu'elle fait passer à l'arrière plan les questions purement techniques. Le contraste est d'autant plus flagrant que Doris Lamprecht (irrésistible Marquise de Berkenfield) et Felicity Lott (Duchesse de Crackentorp) forcent le trait en surjouant les bourgeoises effarouchées face à tant de mauvaises manières.
Retouché par Agathe Mélinand, le livret ne brille pas par la finesse de ses allusions, à l'humour prétendument gaillard et modernisé. Vocalement, Le Sulpice d’Alessandro Corbelli est très convaincant et d'une bonhomie revigorante. Le Chœur de l’Opéra national de Paris se prend au jeu et participe efficacement à ces saynètes qui fleurent bon le boulevard et les airs populaires. Marco Armiliato anime une fosse de qualité qui ne boude pas son plaisir dans cette musique pétillante, écho français à l'esprit viennois et à la légèreté belcantiste.
DV