Chroniques

par isabelle stibbe

La favorita | La favorite
opéra de Gaetano Donizetti

Opéra national de Montpellier / Corum
- 13 juin 2008
Ariel Garcia-Valdès met en scène La favorita de Donizetti à Montpellier
© marc ginot | opéra national de montpellier

« Il n'y a pas dans La favorite le moindre élément de succès », note Berlioz lors de sa création à Paris. Volontiers mordant dans ses critiques, le compositeur français l'est d'autant plus que l'activité frénétique du musicien italien a de quoi l'agacer, cette année-là. En 1840, pas moins de quatre opéras de Donizetti se succèdent sur les scènes parisiennes : La fille du régiment en février, Les martyrs en avril, Lucrèce Borgia en octobre et cette Favorite en décembre. « Nous ne pourrons bientôt plus parler des théâtres lyriques de Paris mais des théâtres de Donizetti » écrit encore Berlioz dans Le journal des débats. Si les deux commentaires du musicien-critique sont largement exagérés, il n'empêche qu’après avoir connu le succès durant tout le XIXe siècle, La favorite fut délaissée d’un coup. En programmant cet opéra, après Il duca d'Alba l'an dernier, l'Opéra national de Montpellier poursuit sa redécouverte des œuvres méconnues du Bergamasque.

Comme pour beaucoup d'ouvrages lyriques, du Barbiere di Siviglia au Prigioniero en passant par Don Carlo, Fidelio ou Carmen, l'action du présent ouvrage a pour cadre l'Espagne. Dans le royaume de Castille de 1350, l'heure est à la Reconquista. Ferdinand, un jeune novice du monastère de Santiago de Compostela, jette le froc aux orties par amour pour Leonora. Il ne sait pas que l'objet de sa flamme est la maîtresse du roi Alphonse XI, ni qu'il lui doit sa brillante carrière militaire. Lorsqu'au retour d'une victoire éclatante sur les Maures, il finit par apprendre la vérité, bafoué dans son honneur il se retire au couvent. Leonora vient implorer son pardon. Elle l'obtient, mais il est trop tard : elle meurt dans ses bras.

Difficile aujourd'hui de ne pas trouver cet argument passablement suranné. Sans doute la conception de l'honneur a-t-elle changé. La fureur de Ferdinand nous semble bien excessive. C'est en vain qu'on chercherait une clef de lecture plus moderne dans la mise en scène d’Ariel Garcia-Valdès. On attendait beaucoup, trop peut-être, de celui qui, comédien des équipes de Georges Lavaudant et Bob Wilson, imposa son jeu magistral dans les rôles de Richard III et de Valmont. Ariel Garcia-Valdés articule sa scénographie autour d'un immense rocher gris. Ce décor polyvalent se fait tour à tour grotte ou tronc d'arbre, selon les actes. Qu'évoque ce rocher ? Solitude, vanité du monde ?... On ne sait trop, mais, tel Sisyphe, le metteur en scène y accroche d'un bout à l'autre son travail. Dire qu'il met le spectateur au supplice serait pousser trop loin l'analogie avec le mythe grec, mais avouons que l'intérêt de cette Favorite ne réside certainement pas dans la production.

L'interprétation musicale apporte plus de satisfactions. Dirigé par Enrique Mazzola, l'Orchestre national de Montpellier est, dès l'Ouverture, recueilli, lyrique et inspiré. Incarnant le jeune Ferdinand, le ténor Bülent Bezdüz a bien la fraîcheur du rôle ; s'il doit encore gagner en endurance et en legato, il dispose d'un joli timbre et d'une bonne articulation. Face à lui, la voix sombre et riche d'harmoniques de Béatrice Uria-Monzon (Leonora) sonne beaucoup plus mûre. Dans l'absolu, ce décalage aurait pu gêner ; en l'occurrence il convient aux rôles : d'un côté la naïveté du jeune novice, de l'autre, le désenchantement d'une courtisane. Dans les rôles secondaires, une mention spéciale à l'impeccable Tassis Christoyannis (Alphonse XI) et à la prometteuseAna Maria Labin (Inès) dont le timbre fruité et la technique sûre nous offrent de remarquables messa di voce. Enfin, les scènes d'ensemble, très maîtrisées, permettent de porter au paroxysme l'intérêt dramatique de l'œuvre et d'amener enfin l'émotion qui manquait à cette représentation.

IS