Chroniques

par bertrand bolognesi

La damnation de Faust, légende dramatique de Berlioz
Anna Caterina Antonacci, Gilles Ragon, Nicolas Cavallier, etc.

Chœur et Orchestre de l’Opéra de Marseille, Philippe Auguin
Opéra de Marseille
- 27 novembre 2007
Eugène Delacroix : Méphistophélès et Faust au Blocksberg, 1827
© nikki clemens | eugène delacroix – méphistophélès et faust, 1827

Bien qu’une mode ambiguë tend à présenter La damnation de Faust mise en scène, cette légende dramatique, ainsi indiquée par Berlioz lui-même, est destinée au concert. Il n’est pas anecdotique de le rappeler, car l’oublier nie l’aspect majeur des conceptions berlioziennes, celui du programme, tel que vécu dans la Symphonie fantastique ou Lélio. Par sain manque d’imagination, il ne vient à l’idée de personne de scénographier ces deux œuvres, mais, parce qu’on y chante, il semble plus naturel d’oser le faire de cette Damnation partageant avec Roméo et Juliette un statut particulier qu’il convient d’observer pour ce qu’il est. Loin de s’égarer (ou d’égarer le public), l’Opéra de Marseille s’en tient à l’auteur et réunit un plateau vocal d’une rare efficacité.

Avec trois prises de rôles, la distribution pourrait être une prise de risque. Le résultat est des plus probants. Nicolas Cavallier offre une couleur élégante à Méphistophélès, malgré des e systématiquement fermés qui induisent une regrettable perte d’harmoniques. Dans un français impeccable dont elle intègre avec génie l’exigeante prosodie, Anna Caterina Antonacci livre une Marguerite à l’impact immédiat, comme sans rien faire, pourrait-on dire, si ce n’est confiance à la partition – là se tient tout le secret. Le phrasé est évident, le chant magnifiquement mené, le charisme indicible. C’est indéniablement le Faust de Gilles Ragon qui l’emporte : par une conduite prudente qui amène peu à peu l’aigu, une lucidité confondante qui le garde de jamais tomber dans le piège de faire de la voix – voilà donc un Faust qui ne cède pas à la tentation ! –, l’artiste accorde à son organe les avantages de la légèreté tout en sachant se faire plus lyrique lorsqu’il le faut. Non seulement les difficultés des lourdes parties I et II sont ici déjouées par une remarquable souplesse, mais encore la clarté préservée du timbre sert-elle l’œuvre avec précision. De fait, la diction s’avère d’une nette intelligibilité qui fait sensiblement écho à la grande pratique du répertoire baroque, laissant judicieusement au Gluck tant aimé de Berlioz des inspirations entendues chez Rameau. Sans jouer, le ténor se rend disponible à la simple expressivité de sa partie, construisant sa prestation sur le respect qu’il en a. À leurs côtés, le Brander d’Éric Martin-Bonnet n’est pas en reste, prenant la peine de nuancer sa Chanson du rat – un luxe d’ivrogne raffiné.

Fragile dans les passages plus piano, le Chœur maison se montre vaillant par ailleurs. À la tête des musiciens de l’Orchestre de l’Opéra de Marseille, une formation en progrès, Philippe Auguin assure une lecture prudente, toujours proche du texte. Marseillaise célèbre ayant souvent chanté cet opus 24, Régine Crespin nous quittait en juillet dernier ; Renée Auphan et l’Opéra de Marseille ont souhaité lui dédier ce concert, ainsi qu’à un autre enfant du pays, Maurice Béjart (incinéré à Lausanne ce matin), qui fit ses premiers pas sur cette scène.

BB