Chroniques

par laurent bergnach

La chute de la maison Usher
film de Jean Epstein – musique d'Art Zoyd

Auditorium du Louvre, Paris
- 10 février 2008
La chute de la maison Usher, film de Jean Epstein et musique d'Art Zoyd
© dr

S'emparant d'un des textes les plus célèbres de l'écrivain américain pour La chute de la maison Usher, le cinéaste Jean Epstein (1897-1953) a livré non seulement son impression générale sur Poe – l'adaptation comporte des éléments empruntés à d'autres nouvelles comme Le Portrait ovale ou Le Tombeau de Ligeia –, mais a retranscrit cet univers nourri de thèmes romantiques et gothiques avec un langage propre au cinéma – nombreux gros plans sur les mains des protagonistes (loupe, guitare, pinceaux, marteau), superposition d'images, ralentis, accentuation des contrastes, etc. Par des effets appuyés dont Cocteau se servira plus tard pour La Belle et la Bête, l'aspect fantastique du film se réfère au rêve plus qu'au réel : les rideaux des couloirs battent au vent, les livres tombent de leur rayonnage, faisant du manoir un lieu soumis à des puissances invisibles que les hommes s'obstinent à ignorer mais que les animaux préfèrent fuir. L'apogée semble atteint avec la procession funèbre : un voile de mariée dépasse du cercueil clôt, tandis que des crapauds s'accouplent – influence de l'assistant de réalisation nommé Luis Buñuel ? – durant la descente à la crypte. « Ce ne sont pas des illustrations compréhensibles, résume le dramaturge, théoricien et scénariste Béla Balázs, elles ne décrivent rien. Ce sont des associations d'impressions obscures produites par une sombre ballade. »

Après Nosferatu (1988) ou, plus récemment, Metropolis (2001), Art Zoyd revient sur scène en associant musique et cinéma muet, expérience qui permet de sensibiliser un large public à des écritures nouvelles, souvent complexes. En effet, Gérard Hourbette – directeur artistique du collectif et compositeur associé à Didier Casamitjana, Patricia Dallio et Kasper T. Toeplitz sur ce nouveau projet – ne croit plus en des pratiques closes et hermétiques, éloignées de l'invention de nouvelles règles et intelligences.

Issu de la culture du rock progressif des années soixante-dix, Art Zoyd réunit ce soir six musiciens autour de claviers, de percussions, de séquenceurs, de pads et d'un theremin. Ils contribuent au lent chevauchement de plages sonores influencées tant par les musiques rituelles, gagaku ou khmères, que par des échos d'industries. Excepté un effet Grand Guignol sur la préparation de la mise en bière (rires et phrases lyriques mêlées), la montée de l'angoisse est gérée en douceur ; on en retiendra les cloches récurrentes accompagnant la conception fatale du portrait ou encore le carillon d'horloge dont les coups finissent par perdre leur régularité, évoquant un temps distendu, perçu par un cerveau malade.

LB