Chroniques

par bertrand bolognesi

L’Orchestre national de France fête le centenaire de György Ligeti
Épisode 1 : Ricercare (1953), Atmosphères (1961) et Lontano (1967)

Lucile Dolat, François Dumont et François-Xavier Roth
Auditorium / Maison de la radio et de la musique, Paris
- 23 novembre 2023
Premier concert du cycle GYÖRGY LIGETI à la Maison de la radio (Paris)
© dr

En amont du 28 mai dernier, la Philharmonie de Paris, l’Ensemble Intercontemporain et l’Orchestre de Chambre de Paris conjuguèrent leurs moyens à la fin de l’hiver : ainsi entendions-nous les Études pour piano, le Concert Românesc ainsi que les concerti pour violon et pour piano [lire nos chroniques des 5, 4 et 3 mars 2023], pour célébrer le centenaire de la naissance de György Ligeti. Avec l’automne, l’heure est venue pour l’Orchestre national de France, associé à l’orchestre Les Siècles et à son chef fondateur François-Xavier Roth, de fêter à leur tour le grand compositeur hongrois. Pour ce faire un cycle de quatre concerts se déroulera cette semaine, ouvert ce soir à la maison ronde.

Ce premier rendez-vous commence par deux opus emblématiques de la manière de Ligeti, l’un sexagénaire et l’autre cinquantenaire, tous deux donnés enchaînés, sans ménager aucune pause. Aux Donaueschinger Musiktage, à la tête du Sinfonieorchester des Südwestrundfunks Baden Baden Hans Rosbaud (1895-1962) créait Atmosphères, le 22 octobre 1961, une page qui fit date dans l’histoire de la musique du second XXe siècle. Dans la lecture de François-Xavier Roth, au pupitre d’un ONF qui affiche excellente santé, son foisonnement polyphonique fusionnel continue de fasciner. Le savant continuo gagne un relief remarquable rendant bel hommage au musicien. Six ans plus tard, jour pour jour, et lors d’une autre édition du même festival, il revint au Lorrain Ernest Bour (1913-2001), cette fois, de faire naître Lontano, avec, lui aussi, la formation ouest-allemande – jusqu’au 3 octobre 1990, on parlait ainsi. Au sfumato succède une clarté surprenante qui ne livre cependant pas ses secrets. Un choix de ciselure s’affirme dans l’exécution qui, par-delà la complexité de l’œuvre, en révèle la dimension expressivité inattendue.

Qui dit Ligeti dit aussi musique hongroise. On peut donc s’attendre à retrouver en si belle compagnie quelques opus des grands aînés du compositeur. À commencer par Liszt, qu’il faut ici prénommer Ferenc plutôt que Franz, bien qu’on parlât langue allemande en sa ville natale, au sud-ouest de Sopron et située plus proche de Vienne que de Györ. Le 15 mars 1865, le chef et compositeur néerlandais Johannes Verhulst (1816-1891) mène la première de la Totentanz : elle a lieu à La Haye et le soliste n’est autre que le Saxon Hans von Bülow (1830-1894), gendre de Liszt depuis huit ans et créateur de sa fameuse Sonate en si mineur. L’écriture de cette Danse macabre fut amorcée une trentaine d’années auparavant, la double-barre finale étant tracée, elle, dès 1849 – finale, mais non définitive : ces six variations sur le Dies irae de l’office grégorien des morts feront encore l’objet d’une révision à l’orée des années soixante. Par un hasard qu’on ne s’explique pas, il ne nous avait jamais été donné d’entendre le pianiste François Dumont auquel est ici confiée la partie soliste de la Totentanz. Aussi découvrons-nous avec un très grand plaisir un artiste infiniment précis et inspiré. La frappe est sûre, sans esbroufe, la pensée toujours en alerte, le geste parfaitement concentré, au service d’une musicalité finement ciselée. À cette interprétation dense répond un vrai travail de couleur de l’orchestre, notamment en ce qui concerne les cuivres, particulièrement mis en relief par le chef.

Passé l’entracte, la musique de Ligeti retentit à nouveau, sous les doigts de Lucile Dollat, désormais : composé en 1953 sur l’impulsion de Sándor Margittay, puis créé dans la foulée, à Brême, par le compositeur suédois Karl-Erik Welin (1934-1992), Ricercare pour orgue explore l’héritage baroque avec une rigueur renouvelée, mais encore une inventivité qui annonce assez évidemment Atmosphère. Cette page, jouée ce soir avec une souplesse ténue, vient judicieusement témoigner de la période hongroise, juste avant que l’ONF fasse entendre l’intégralité du ballet de Béla Bartók, Le mandarin merveilleux (A csodálatos mandarin), achevé en 1919, révisé en 1924, par Jenő Szenkár (1891-1977), le 27 novembre 1936 à Cologne, puis révisé une dernière fois en 1935 – exilé dès 1933, avec l’avènement de la fièvre brune, via Vienne puis Paris et Moscou, le chef hongrois continuerait sa carrière en URSS puis fuirait la terreur stalinienne en 1939 pour s’installer à Rio de Janeiro où poursuivre sa carrière durant la guerre. François-Xavier Roth livre une lecture à la clarté toute française qui, bien qu’irréprochable, échappe à l’argument de l’œuvre.

BB