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Chroniques
L’ombra | L’ombre
opéra d’Ugo Bottachiari
En guise de lancement de la première édition d’un festival « les pieds dans l’herbe », Va jouer dehors ! met en lumière les contours de L’ombra (1898), opéra da camera pour deux voix solistes, chœur de chambre et orchestre du compositeur italien Ugo Bottachiari (1877-1944), injustement méconnu. À l’époque, vériste s’il en est, des grandes formes, intrigues complexes, multiplication des personnages principaux et secondaires, changements réguliers de lieux et sauts temporels, cette œuvre de relative jeunesse (le compositeur n’a que vingt-et-un an au moment de sa création) tient une place singulière dans l’histoire de l’opéra au tournant des XIXe et XXe siècles : un huis clos (relativement rare) structuré en un acte dont la musique est troussée en une petite heure avec une étonnante économie de moyens. Composé d’après une nouvelle de Cosimo Giorgieri Contri, le livret place sur le devant de la scène les tourments amoureux et existentiels de Wolfango, un étudiant sans âge qui reçoit, en songe(s) et au milieu de ses livres éparpillés, la visite spectrale d’une ombre féminine (L’ombra). Oscillant entre fantasmagorie, réalité et références permanentes aux codes et aux symboles du romantisme, un dialogue s’installe progressivement entre ces deux personnages.
S’il existe une version de cet opus pour grand orchestre – le lecteur pourra se référer à l’unique enregistrement milanais de 1968* –, le festival a commandé pour l’occasion, et afin d’accentuer la dimension chambriste de l’œuvre, une version pour douze instruments (quintette à cordes, quintette à vents, piano et percussion) au compositeur, arrangeur et orchestrateur allemand Julian Lembke (ancien élève du CNSMD de Paris dans les classes de Gérard Pesson et de Marc-André Dalbavie). Entre orchestration, réduction et composition, cette nouvelle mouture n’hésite pas à faire appel à de nombreux modes de jeu spécifiques (flatterzunge, slaps, double-corde, résonances percussion/piano, etc.) et à une diffraction fréquente de phrases sans cesse distribuées au sein de l’ensemble instrumental. Le résultat souligne, certes, certains aspects de modernité de l’œuvre, mais ne laisse pas toujours suffisamment d’espace aux voix (les doublures sont très/trop fréquentes) et ne soutient pas toujours la prosodie naturelle.
20h45. Coucher de soleil et ciel limpide. Nous approchons d’un chapiteau fièrement installé au milieu des champs, à quelques coudées du château de Cheverny, pour assister à ce baptême du feu de Va jouer dehors ! Sous la toile, une petite centaine de spectateurs et une ambiance tout aussi rafraîchissante que chaleureuse qui mène bien loin du cérémonial, quasi religieux, de la représentation d’opéra. Ici, la philosophie du festival est palpable : amener la musique, dite classique, dans de nouveaux lieux, sous de nouvelles formes et dans un souci permanent de proximité avec le public.
À l’économie de moyens de la partition, qui s’inscrit dans une forme de tradition post-Verdi, répond une grande lisibilité et pertinence des choix scéniques et scénographiques (Luc Birraux et Élise Touret) qui retranscrivent l’évolution des différents états psychologiques de Wolfango. Il est question de placer le spectateur au plus près de ce qui se trame dans l’esprit du personnage. Par ailleurs, et afin de dynamiser l’argument, certains éléments du décor se meuvent progressivement selon la structure et les différents temps forts du livret. Le dénouement, qui prend des allures de mise au tombeau, souligne avec justesse l’ambiguïté d’un dialogue entre songe et réalité et le contact entre ces deux mondes. Enfin, les choix de lumière et certains effets visuels accentuent la dimension fantastique qui plane de façon permanente au-dessus de cette Ombra. Une mise en scène qui se fait donc l’éloge de la clarté et de l’efficacité et guide avec fidélité la construction dramatique de l’œuvre.
Le rôle masculin est confié au jeune ténor Louis Zaitoun. Formé à la Haute École de Musique de Lausanne et évoluant aussi bien dans le répertoire dramatique que dans l’opérette, il se perfectionne actuellement au sein de l’Opéra Studio de Berne/Bienne. La qualité d’un timbre de grande clarté séduit immédiatement, de même l’articulation irréprochable et une belle présence scénique. L’ombra est incarnée par le soprano Cécile Houillon. Également formée sur les rives du Léman, la jeune musicienne eut déjà l’occasion de s’illustrer dans les rôles de Miss Jessel (Britten, The turn of the screw) ou encore dans celui d’Ulana (Paderewski, Manru). Nous apprécions tout particulièrement la grande souplesse et la fluidité vocale, alliées à une puissance réjouissante et un soutien généreux dans toute la tessiture. Au delà de ces qualités personnelles, notons également les heureuses fusions de ces deux timbres dans les duos et le travail sérieux réalisé par le quatuor vocal féminin qui fait son apparition à la fin de l’œuvre.
Formé pour l’occasion et soudé par une intense et studieuse semaine de résidence, l’ensemble instrumental est constitué de douze jeunes interprètes issus des écoles supérieures internationales. Ils sont placés sous la direction du pianiste et chef d’orchestre vaudois Antoine Rebstein. Malgré les particularités de l’acoustique, les difficultés inhérentes au jeu sous chapiteau (qui ne favorise pas la justesse), et la version proposée par Lembke, soulignons le parfait équilibre entre les deux quintettes auxquels se joignent idéalement percussion et piano. Ce tissu instrumental riche d’effets contrepointe avec réussite la ligne directrice de cette production et les choix de mise en scène.
Enthousiaste, le public ne s’y trompe pas et accueille avec des applaudissements nourris ce premier concert de Va jouer dehors !. Les discussions se prolongent entre équipe et spectateurs autour du verre de l’amitié. Félicitons cette jeune pousse pour cette belle initiative et la prise de risque de donner la première scénique d’une œuvre inconnue. Un festival et une entreprise assurément à suivre…
NM
* enregistrement disponible en intégralité sur YouTube (lien actif au 25/08/2016)