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Chroniques
L’heure espagnole, opéra de Maurice Ravel
Gianni Schicchi, opéra de Giacomo Puccini
Créés dans le premier quart du XXe siècle, à moins de dix ans d’intervalle, L’heure espagnole (Paris, 1911) et Gianni Schicchi (New York, 1918) sont réunis aujourd’hui pour cinq représentations destinées à promouvoir de jeunes chanteurs, auditionnés avant de participer à une master class avec Ludovic Tézier. L’œuvre de Maurice Ravel, plus discrète sur nos scènes que L’enfant et les sortilèges (1925), est celle d’un trentenaire qui écrit son premier opéra entre les pianistiques Gaspard de la nuit (1908) et Le tombeau de Couperin (1917). L’intention avouée est de renouer avec la tradition de l’opéra-bouffe. Au Figaro, il confie : « c’est essentiellement par la musique, l’harmonie, le rythme, l’orchestration, que je voulais que s’exprime l’ironie, et non, comme dans l’opérette, par une comique mais arbitraire accumulation de mots ».
Pour Giacomo Puccini, il s’agit aussi de faire rire le public – il en rêve depuis longtemps –, sans s’oublier lui-même. Le musicien écrit d’ailleurs à Giovacchino Forzano, librettiste des deux derniers éléments d’Il trittico : « après Il tabarro, tout de noir teinté, je ressens le désir de m’amuser ». L’opera buffa du XVIIIe siècle ainsi que la commedia dell’arte vont servir de modèle à celui qui veut « en finir avec les vieilles carcasses coutumières » – comme le rappelle Marcel Marnat dans sa biographie de l’Italien [lire notre critique de l’ouvrage] –, et mettre à jour la farce du monde, à l’instar de Verdi dans son Falstaff testamentaire.
Si ce divertissement campé au Moyen Âge fait l’objet d’accouplages parfois étonnants – Eine florentinische Tragödie [lire notre chronique du 6 février 2012], La notte di un nevrastenico (en juin prochain, à Montpellier), etc. –, son mariage avec la pochade de Franc-Nohain va de soi. Outre l’humour, on y trouve nombre de points communs tels l’amour (déçu et frivole chez Ravel, naissant et tenace chez Puccini) et le triomphe de l’homme modeste, voire méprisé (à Tolède, « le muletier a son tour », tandis que le campagnard Schicchi rafle la mise à Florence).
Le temps importe aussi, celui d’une étreinte ou du trépas. Une horloge géante sert de décor à la boutique de Torquemada, marquant de son thermomètre la fièvre adultérine. Clair mais confidentiel, David Margulis (Horloger) est trahi par la coquine Éléonore Pancrazi (Concepción), mezzo au chant agile mais encore assez cru. Si Thibault de Damas (Gomez) est sonore autant qu’inégal, Gilen Goicoechea (Ramiro), baryton ample, rond et souple, s’avère irréprochable, mais plus encore Jean-Michel Richer (Gonzalvo), ténor puissant et nuancé qui monopolise l’écoute. À la fin du quintette donné rideau baissé, le tissu s’ouvre : l’horloge est désormais dans un coin de l’appartement de Buoso Donati (Yves Breton), vieillard attablé qui tombe le nez dans un plat de spaghetti. Entracte !
La seconde partie a notre préférence, tant pour la lecture moins fade de Michael Balke, en fosse avec l’Orchestre symphonique et lyrique de Nancy, que par la direction d’acteurs plus fouillée de Bruno Ravella – sans parler du texte, indémodable. Quatre des artistes cités plus haut y incarnent des rôles secondaires, laissant place à un excellent trio de tête : Adrien Barbieri (Schicchi) à la belle pâte vocale, Laura Holm (Lauretta) au soprano fluide et prometteur, ainsi que Jérémie Schütz (Rinuccio), d’une santé lumineuse [lire notre chronique du 15 avril 2016]. Quant au reste de la famille, il offre à prendre et à laisser ; aussi terminerons-nous par Alejandro Gábor, Notaire tranquille à l’articulation soignée.
LB