Chroniques

par bertrand bolognesi

l’Andalucía d’Enrique Mazzola
Alexandre Tharaud et l’Orchestre national d’Île de France

Salle Pleyel, Paris
- 13 mai 2012
le chef Enrique Mazzola, photographié par Maurizio Berlincioni
© maurizio berlincioni

Une nouvelle fois l’Orchestre national d’Île de France présente un programme thématique parfaitement pertinent. Sous la battue de son nouveau chef, le dynamique Enrique Mazzola, Catalan qui fit une partie de ses études en Italie, un menu intitulé Andalucía s’annonce plutôt bien… Fluidité séduisante, contrastes et couleurs caractérisent l’inflexion donnée par le maestro à Par les rues et par les chemins, première section d’Iberia de Claude Debussy, « espagnolade » aujourd’hui centenaire dont cette version à l’impulsivité remarquablement jouissive révèle tout le sel. D’emblée on rencontre un soin du détail jamais asphyxiant qui réalise des alliages timbriques raffinés, ainsi qu’une gestion idéale des tensions. Au Parfums de la nuit est réservée un fondu savant qui rend hommage à la subtilité d’écriture, sans déroger à une certaine sensualité qui sourd de la touffeur générale, comme « aérée » par le mystère de mélismes omniprésents. Pour le troisième mouvement, la baguette mêle une palette fauve à une rigueur constructiviste (s’il faut parler peinture).

Cadette de quelques années à peine, Nuits dans les jardins d’Espagne apparaît comme une pièce « de caractère » suspendue aux moires ravéliennes, pour ainsi dire. En el Generalife s’ouvre aujourd’hui dans une étonnante profondeur du grave, rehaussée d’une fascinante oxydation des cordes. Au piano, Alexandre Tharaud fait une entrée gentiment dentelée, un rien précieuse. Mais la générosité de conception d’Enrique Mazzola s’accommode assez mal de ces raides joliesses, ce dont souffrira toute l’exécution. Au relief splendide de l’orchestre répond une retenue relativement sèche qui ne sied pas à l’ensemble. Vraiment, cette œuvre réclame un instrument moins « miniature », si l’on peut dire. Et si la Danza lejana n’est pas impossible, En los jardines de la sierra de Cordoba, pour finir, manque assurément d’une fréquentation lisztienne. Le résultat s’englue dans des soupirs « chichiteux » qu’on jurerait entendre se pâmer hors-champs. C’est avec Scarlatti que le pianiste remercie son chaleureux public, un Scarlatti plus vertement annoncé qui pourtant s’avère bientôt heurté, brutal même (on est loin d’un Demidenko, par exemple).

Indéniablement, le niveau de la formation francilienne est en hausse, et la présente lecture de l’orchestration par Michael Jarrell (1992) de Trois Études de Debussy (extraites des Douze études pour piano, 1915) le confirme aisément. Chaque pupitre sert au mieux la réalisation chatoyante du compositeur Suisse, offrant au chef un matériau dont il peut jouer en toute complicité, à travers un riche voyage des timbres. L’interprétation affirme une précision rare, que ce soit dans l’intriguant Pour les sonorités opposées ou dans le plus secret Pour les notes répétées, ici en position centrale. À la sophistication fidèlement rendue de ce dernier succède l’éclatant Pour les accords, à peine plus cru dans ses commencements, pour s’achever bientôt dans une pâte chaleureusement nimbée.

C’est incontestablement pour ces Trois Études qu’il ne fallait pas manquer ce concert, et non pour la Sinfonia sevillana Op.23 de Joaquin Turina. Écrite en 1920, cette page en trois mouvements, sorte de suite à programme, a bien du mal à convaincre après les sensibles délices qui la précèdent. Pourtant, les musiciens la défendent avec autant de maîtrise que d’engagement. De même Enrique Mazzola s’ingénie-t-il à nous en faire goûter tous les aspects. Mais l’abondance d’effets et le recours complaisants à des saveurs immédiatement identifiables font de cette partition une sorte de festive monstruosité. Encore saluera-t-on le soin brillant apporté à chaque trait, le choix d’une conduite « dramatique » en ce qu’elle revêt une extrême souplesse à passer d’une expression à une autre avec une sensibilité diablement aiguë, ce qui traduit comme attendu la trame romanesque sous-jacente, et la romance centrale (Por el rio Guadalquivir), tendre carte postale dessinée par le violon formidablement chanteur d’Alexis Cardenas.

BB