Chroniques

par laurent bergnach

Kabaret Recitakle
spectacle d’Eva Gruber

Cité Internationale Universitaire de Paris
- 19 décembre 2006
Kabaret Recitakle, spectacle d’Eva Gruber
© dominique bodecot

Mélange de comédie, de chant, de danse et de théâtre, le cabaret naît en France à la fin du XIXe siècle, mais son image demeure profondément liée au Berlin de l'entre-deux guerre. C'est qu'entre 1910 et 1930, des auteurs de qualité ont profité de ce lieu d'expression pour y développer des thèmes sociaux et politiques. Art de l'instant en prise avec le quotidien et l'actualité, le cabaret offre un rapport de proximité à son public – lequel brasse comme rarement différentes classes de la population. Le parti Nazi ne s'y est pas trompé en s'attaquant, dès son arrivée au pouvoir, aux compositions audacieuses et étonnantes de ces créateurs qui furent étiquetés, comme tant d'autres, entarte Musik. À mi-chemin entre spectacle et récital, Kabaret Recitakle se compose d'éléments comiques, tragiques, grinçants, légers ou gênants, empruntés à cet univers.

Devant un décor composé de trois panneaux espacés, avec une chaise, un voile et une flasque d'alcool comme seuls accessoires, Eva Gruber nous livre une succession de petits tableaux chantés principalement en allemand – souvent introduits en français et traduits en intégralité dans le programme. Entre mélodies faciles et musiques plus exigeantes, on y croise des raretés de Friedrich Hollaender, Abraham Ellstein, ou encore Dessau et Eisler plutôt queWeill. Pourvu d'une voix ample et évidente aux graves musclés, le mezzo-soprano livre avec un certain mordant Kleines Lied puis Lied von achten Elefanten, nimbe de mélancolie Eine kleine Senhsucht et de suspense Mutter Beimlein, intériorise Ballade von der Judenhure Marie Sanders, Das Lied von der Moldau ou encoreFarge mikh nit. Originale, sa version du Tango stupéfiant lorgne du côté de l'expressionnisme.

Refusant l'idée d'un « musée du cabaret », la chanteuse a voulu célébrer le spectacle vivant. D'où cette demande faite à quatre contemporains de lui écrire des chansons qui en respecte l'esprit : Quatre jeunes filles de Denis Chouillet (né en 1968), Face de Lune d'André Serre-Milan (1965), Excusez le technicien de surface de Vincent Bouchot (1966) et Vœu pieux de Nicolas Ducloux. Par ailleurs pianiste de la soirée et arrangeur de l'Air des Cartes de Carmen façon tango, ce dernier est entouré de musiciens impeccables : le clarinettiste François Miquel et le contrebassiste Nicolas Crosse. Tendrement expressifs, ils participent pleinement à la réussite d'un spectacle mis en scène par Vincent Vittoz, qu'on espère retrouver encore peaufiné d'ici peu.

LB