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Chroniques
journée François-Bernard Mâche
création de Chikop et de Heol Dall
Directeur du département Musique de l’Université de Strasbourg pendant une dizaine d’années (à partir de 1980), François-Bernard Mâche est l’invité privilégié d’une Journée entièrement consacrée à sa musique, à travers trois concerts. Esprit curieux autant qu’érudit – pianiste, compositeur, musicologue, écrivain, diplômé d’archéologie grecque, agrégé de lettres classiques et détenteur d’un prix de philosophie de la musique (1960), il fit partie du GRM et enseigna l’histoire de l’art antique à la Sorbonne, les lettres classiques à Neuilly (Pasteur) et à Paris (Louis-le-Grand) ; il est aujourd’hui directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales –, le musicien a exploré et observé les traditions musicales de nombreuses cultures extra-européennes, tirant d’approches à la fois encyclopédiques et physiques (puisqu’il fit plusieurs voyages déterminants) la conviction qu’il existe des procédés communs à toutes les cultures, sortes d’archétypes musicaux, comme l’aurait dit Jung dans son domaine. On s’interroge plus d’une fois, durant les concerts d’aujourd’hui, sur les fonctions de la musique plutôt que sur son devenir ou sur la localisation de celle offerte au moment précis de l’écoute qu’on en a, comme c’est le cas habituellement.
Le concert de 18h, à l’Auditorium France 3 Alsace, est introduit pas Solstice, pièce pour clavecin et orgue positif écrite et créée en 1975 à Royan et dont la partie d’orgue fut depuis enregistrée par l’auteur afin de permettre une présentation pour clavecin seul et bande. L’un des acteurs de la création était Elisabeth Chojnacka, la figure permanente de ce concert. Jouant sur des motifs répétitifs enchevêtrés, l’œuvre pourrait, par un chemin totalement différent et à partir d’un discours qu’on ne saurait comparer à celles-ci, s’apparenter à certaines tentatives du courant américain de la musique répétitive des années soixante, lui-même héritier des essais de Colin McPhee s’inspirant de rythmes et de timbres asiatiques dès les années vingt. Avec Korwar (1972, clavecin et bande) l’on touche un des traits communs à beaucoup de partitions de Mâche : un généreux déploiement d’énergie dans la frénésie rythmique d’un final obsédant (qu’Harry Halbreich définit comme une « toccata électrisante »). La bande qui accompagne la claveciniste est utilisée par d’autres œuvres de Mâche, comme Temes NevInbür (pour deux pianos et deux percussions) ou Rambaramb (pour piano et orchestre). On retrouve ce trait dans Anaphores pour clavecin et percussion (1981), dynamisé par Emmanuel Séjourné, après avoir entendu le soprano Françoise Kubler dans Kengir, cinq chants d’amour sumériens (1991).
Nous retrouvons la chanteuse dans Chikop, page donnée en création lors du concert de 20h, au Palais des Fêtes. Dédiée à Armand Angster, elle est interprétée par Accroche Notes. Ce cycle de douze poèmes d’Humberto Ak’abal, indien maya kiché du Guatemala dont on entend la voix sur bande, surprend par un recours relativement attendu à des procédés assez pauvres, tel la scansion du rythme de parole par un instrument, pour n’en citer qu’un, utilisé jusqu’à plus soif. L’exécution s’avère soignée et précise, et la diction de Françoise Kubler comme d’habitude exemplaire. Également composée cette année, Heol Dall réunit deux pianos et douze voix, celles de l’ensemble Musicatreize dirigé par Roland Hayrabedian. La répétitivité des motifs est à ce point systématique que l’auditeur en perd parfois l’écoute sans y gagner de perception d’un autre ordre. Du reste, la réalisation n’est pas idéale : les voix féminines accusent de sérieux soucis dans certains intervalles délicats, et les pianos précautionneusement fermés – joués par Claire Désert et Marie-Josèphe Jude – ne sonnent guère. Avec Danaé pour douze voix et percussions, la facture des années soixante-dix fait son incursion : si les prémices constatées tout à l’heure sont bel et bien présentes dans l’œuvre, on goûte une inventivité nettement plus diversifiée dont les interprètes s’emparent avec enthousiasme, dans un relief dynamisant.
Les trois pièces de François-Bernard Mâche sont encadrées par Quatrains d’Édith Canat de Chizy, écriture claire et sensible que Musicatreize sert magistralement, et par la première audition en France du fort éprouvant Nur pour seize voix de Francisco Guerrero, œuvre d’une violence inouïe qui, sans n’avoir jamais recours à la simplicité, évite toute finasserie superflue et demande aux chanteurs une endurance invraisemblable.
Cette Journée François-Bernard Mâche est sans marchand de sable : à 23h, Les Percussions de Strasbourg envahissent la scène du Palais des Fêtes pour une grand’messe comme cette formation en garde la recette. L’on entend Maraé, pièce de 1974 s’achevant sur un final frénétique de la même famille que ceux constatés en fin d’après-midi, Aera sa cadette de quatre ans, étonnement mystérieuse, qui, après une parties de timbales et de gongs échevelée, échappe au principe en finissant par trois notes dépassionnées, ainsi que le peu convainquant Khnoum de 1990.
BB