Chroniques

par bertrand bolognesi

Johannes Debus joue Jarrell et Reich
Accentus et l’Ensemble Intercontemporain

Biennal d’Art vocal / Cité de la musique, Paris
- 14 juin 2005
le jeune chef Johannes Debus
© dr

Deux univers bien distincts sont explorés par les artistes de l'EIC et du chœurAccentus, ce soir, puisque avant de donner The Desert Music de Steve Reich, ils font entendre deux pièces du compositeur suisse Michael Jarrell. Assonance V fut composé en 1990 (commande de la radio autrichienne) pour violoncelle et ensemble divisé en quatre groupes. Son sous-titre, ...chaque jour n'est qu'une trêve entre deux nuits..., s’inspire d’un passage de Notre besoin de consolation est impossible à rassasier de l'écrivain suédois Stig Dagerman. La sonorité de l'instrument de Pierre Strauch arrive de fort loin ; elle installe peu à peu l'exécution dans une nuance mp d'une grande délicatesse. Ce n'est certes pas chose aisée que de maintenir l'égalité de cette intensité durant une dizaine de minutes : très attentif au raffinement des alliages timbriques comme aux équilibres, Johannes Debus offre une lecture minutieuse et sensible.

C'est dans une sorte de déflagration sèche que s'ouvre Mémoires, pièce pour chœur et ensemble écrite en 1996 et créée à Lucerne la même année. Les voix énoncent une proposition quasi sprechgesang, jusqu'à ce que l'œuvre développe un thrène qui use de procédés assez attendus. Utilisant des extraits de L'Ecclésiaste et d'un texte d'Annick Cojean, la pièce tente d'imposer un recueillement tant signalé qu'il n'en devient jamais effectif. On apprécie l'extrême précision de l'Ensemble Intercontemporain, décuplée par la clarté d'un chef toujours soucieux de la plus évidente intelligibilité possible.

Enfin, s'il faut avouer que la nudité d'un Feldman touche plus que les intrications rythmiques répétées de Steve Reich (à parler rapidement du minimalisme américain), The Desert Music fait exception par son immense pouvoir de fascination. Composée en même temps que Ryoanji de John Cage, l'œuvre puise dans les textes de William Carlos Williams, poète que le musicien lit avec passion depuis son adolescence. D'abord conçue pour un vaste orchestre – c'est la première fois que Reich se frotte à un tel effectif –, elle fera l'objet d'une version de chambre dont la première française eut lieu à Metz (RIMC) à l'automne 1986.

Johannes Debus [photo] s'avère d'une régularité stupéfiante, ne cédant jamais aux sournoises invitations de la partition elle-même. La couleur particulière des tapis de claviers est réalisée avec beaucoup de soin, de même que les canons contrariés des cordes. Malgré des interventions chorales souvent approximatives, l’interprétation se révèlera finalement lumineuse.

BB