Chroniques

par cecil ameil

Johann Sebastian Bach | Matthäus Passion BWV 244
Rias Kammerchor, Akademie für Alte Musik, René Jacobs

Palais des Beaux-arts, Bruxelles
- 31 août 2012
René Jacobs joue la Matthäus Passion
© philippe matsas

L’œuvre phare de Johann Sebastian Bach est présentée au Bozar (Bruxelles) en ouverture du KlaraFestival 2012 (Festival de Flandre Bruxelles-Europe). René Jacobs bénéficie d’une magnifique distribution : l'Akademie für Alte Musik Berlin est un des meilleurs orchestres baroques actuels et le Rias Kammerchor, grand habitué de ce répertoire, est considéré comme une référence en Allemagne.

La salle Henri Le Bœuf, toujours d’une excellente acoustique, est comble. Il est vrai que cette Passion attire un large public avide de découvrir un magnifique tableau de la condition humaine où s'expriment les émotions avec tant de justesse, portées avec ferveur par une musique écrite au service de la liturgie. Toute la palette des sentiments humains s'y déploie (joie, tristesse, honte, colère, surprise, peur, etc.), entre exaltation et miséricorde. Rappelons que seul le rôle de l’Évangéliste suit fidèlement les Écritures, le reste du livret étant de la plume originale de Picander, poète et librettiste de cantates (Christian Henrici, 1700-1764). Bien qu’il n’était pas envisageable, dans un office, de porter le texte comme on l’aurait fait au théâtre, on est pourtant frappé par la dramaturgie que le compositeur adopta, avec double-orchestre et double-chœur dialoguant sans cesse ou s’unissant au gré des épisodes (au nombre de soixante-dix huit). Bach aurait d’ailleurs écrit cette œuvre pour l’Église Saint Thomas de Leipzig où se font face deux orgues.

René Jacobs ajoute sa touche en plaçant les principaux protagonistes du drame (solistes) derrière les instruments (Évangéliste compris) et Jésus à part qui domine l'avant-(s)cène. En outre, certains chanteurs se déplacent d'un chœur et d’un orchestre aux autres dans le souci manifeste d’une plus grande forme de cohérence sonore – il n’est pas certain que le public soit toujours sensible à cette subtilité.

Tout le mérite revient au chef et aux musiciens de traduire ce drame sans excès de pathos et en l'absence de tout effet symphonique. On est rapidement captivé par l'osmose des voix, des bois et des cuivres, la netteté de chaque pupitre, la simplicité avec laquelle s’expriment les tourments du cœur. Jacobs tend, semble-t-il, à nous introduire dans l'intimité de l'œuvre, le parcours de souffrance du Christ, résolument recueilli – un peu à la manière de Philippe Herreweghe, mais avec trente-cinq choristes et trente-sept instruments, ce qui est en soi un tour de force.

Les voix sont toutes belles, la prononciation absolument exemplaire, d'une précision et d'une homogénéité remarquables. Seul le ténor finlandais Topi Lehtipuu, bien que porteur d'une belle émotion, manque de tonus dans les aigus. Mais les mélodieuses Bernarda Fink (mezzo-soprano) et Sunhae Im (soprano) sont en totale harmonie (merveilleux duo n°33, où l’on emmène Jésus enchainé, en fin de première partie). Werner Güra (autre ténor) campe un Évangéliste absolument inépuisable (il intervient quatre-vingt fois en trois heures) et Konstantin Wolff est excellent, dans la partie de basse si active dans la seconde partie de l'œuvre (Mache dich, mein Herze sonne encore dans notre tête) comme dans l’incarnation de Ponce Pilate.

Plus surprenante, la place de Jésus (à côté du chef), interprété par le Norvégien Johannes Weisser (baryton) au timbre et au physique fort expressifs – magnifique voix, certes, mais cet agencement provoque un décalage visuel et surtout sonore avec les autres chanteurs, sans que s’éclaire véritablement le sens de cet isolement (d’autant que Jésus intervient essentiellement dans la première partie) ; on aurait plutôt vu là l’Évangéliste (narrateur).

Le chœur (divisé en deux) fascine par son unité et son aptitude à répondre aux moindres inflexions de Jacobs, dans un jeu parfois saisissant de forte|piano, gauche-droite, qui exprime à l'envie les épanchements de l'âme ou les assauts de la foule. Le final, comme le chœur d’ouverture, paraît à la fois sobre et fort, véhiculant (en majeur) une compassion libérée de toute souffrance, malgré les larmes.

Les arie (surtout en seconde partie) séduisent particulièrement, introduites par l'un ou l'autre pupitre : orgue et violoncelles quand le ténor fait taire Jésus (n°40), premier violon I suivi de pizzicati de violoncelles quand l'alto exprime les tourments du cœur (n°47), premier violon II quand la basse rejette l'argent gagné par Judas (n°51) ou encore traverso et hautbois sur l'amour de Jésus (soprano, n°58). Les incursions d'instruments anciens sont remarquables de présence : une belle viole de gambe soutient Simon, porteur de la Croix (n°66), un archiluth accompagne l'un ou l'autre récitatif.

On apprit que cette interprétation nuancée, caractéristique de René Jacobs, de la Matthäus Passion ne fait pas l’unanimité, notamment auprès de ceux qui en recherche une lecture plus extériorisée. On réécoutera le célèbre enregistrement de Karl Richter (1958) pour se familiariser avec une toute autre conception (historique) du chef-d’œuvre de Bach.

CA