Chroniques

par laurent bergnach

Jetz | Maintenant, opera de Mathis Nitschke
What next ? | Et après ?, opera d’Elliott Carter

Opéra national de Montpellier / Corum
- 30 novembre 2012
Jetz (Nitschke) | What next ? (Carter)
© marc ginot | opéra national de montpellier

Nunes, Henze, Carter… Ces dernières semaines, la disparition de créateurs ayant marqué le XXe siècle a malheureusement donné du grain à moudre à certains chroniqueurs plus prompts à fréquenter les funérariums que les salles de concert, ceux-là mêmes qui troussent en catastrophe un beau discours pour se dédouaner de tant d’années vécues dans l’ignorance du cher disparu et qui actualisent leur pedigree de spécialiste du contemporain en apparaissant uniquement aux ouvertures de festivals bien connus, moins attachés au plat de résistance qu’à l’apéritif. S’il ne fait aucun doute que la production montpelliéraine de What next ?, l’ouvrage de l’Américain décédé le 5 novembre à la veille de son cent-quatrième anniversaire (11 décembre), attire des curieux que l’on n’aurait pas croisés en d’autres circonstances, voyons le côté positif de l’attraction nécrophile : aucune des deux représentations prévues n’est annulée, à l’inverse de la création parisienne de Limbus-Limbo, l’opera buffa de Stefano Gervasoni, réduite à un unique rendez-vous [lire notre critique du CD récemment paru, regroupant des œuvres pour ensemble].

Né en 1908, le New-yorkais Elliott Carter apparaît comme le digne héritier de Charles Ives (1874-1954), compositeur anticonformiste et authentiquement américain (emprunts folkloriques) qui lui fait découvrir nombre de musiciens jugés scandaleux à l’aube des années trente : Bartók, Berg, Ruggles, Schönberg, Stravinsky, Varèse, Webern, etc. Au fil des ans, Carter construit un langage novateur et personnel, toujours à bonne distance des courants dominants, qu’ils soient sérialisme intégral (trop peu expressif), minimaliste (néfaste à la dramaturgie) ou aléatoire (« une collection de maigres clichés »). C’est en pensant d’abord à Ionesco, puis à une scène de Trafic, le film de Jacques Tati, que Carter sollicite le musicologue Paul Griffiths pour écrire What next ?, son unique opéra, créé à Berlin le 16 septembre 1999 et revendiqué comme un dramma giocoso traitant de la solitude existentielle. Qu’on en juge : « Un accident s’est produit. Parmi les six victimes, toutes indemnes autant que nous puissions en juger, les cinq adultes ont des conceptions différentes de leurs liens familiaux et de ce qui a pu les conduire au même endroit au même moment ».

Loin du flamboiement d’Einstein on the beach ici même, au printemps dernier [lire notre chronique du 16 mars 2012], la création française de What next ? offre à cinq chanteurs adultes et à un enfant le déséquilibre d’un pan incliné gris asphalte, nu. Des deux soprani en présence, nous goûtons l’ampleur souple et colorée de Sarah Wolfson (Rose, future mariée et artiste) et l’expressivité onctueuse de Susan Narucki (Mama, mère et bien d’autres choses), la santé du baryton Marco Di Sapia (Harry ou Larry, futur marié, bouffon), les fulgurances du ténor Gilles Ragon (Zen, soi-disant prophète et bien peu d’autres choses), la limpidité tendre mais confidentielle du mezzo Martina Koppelstetter (Stella, astronome) ainsi que les quelques interventions du jeune Josue Toubin-Perre (Kid).

Une commande de l’Opéra national de Montpellier sert de quasi-prologue à cette soirée lyrique : Jetz, composé par Mathis Nitschke (né en 1973) à partir d’un livret de Jonas Lüscher. Avouons ne pas comprendre ce que le philosophe, en évoquant tour à tour Feyerabend, Schlegel, Darwin ou Latour, entend par « tentative », grâce à l’usage de sept époques,« de représenter l’histoire de l’humanité de façon exemplaire », mais avoir été sensible à ces épisodes décousus dont la mort semble le fil conducteur (discussion chez la photographe, évocation avec un astronaute d’un impossible retour sur Terre, l’agonie d’un patriarche sur un plateau de cinéma, etc.), lesquels sont mis en scène de manière assez rituelle par Urs Schönebaum (procession, empilement de caisses, défilé, etc.), avec une pointe d’humour (le lapin évoquant « les avantages de la reproduction sexuelle »).

Musicalement, le Munichois habitué aux collaborations (cinéma, danse) a souhaité « des effets qui permettent la dérision et la distanciation, qui mettent en valeur de façon plus claire et plus aiguë les vibrations du chant classique ». Amplifications par haut-parleurs, micro et mégaphones sont donc associés aux chanteurs évoqués plus haut qu’accompagnent l’orchestre maison placé sous la direction de Carl Christian Bettendorf, mais aussi les improvisations d’un trio électrifié : Santiago Cimadevilla (bandonéon), Mathis Mayr (violoncelle) et Brice Soniano (contrebasse). D’une partition de cinquante minutes, il reste le souvenir de tensions électro-acoustiques (crescendos, ostinati, bip bip de science-fiction, etc.), oscillant entre émotion et futilité.

LB