Chroniques

par gilles charlassier

Jean-Luc Ho joue Die Kunst der Fuge

Bach en Combrailles / Églises de Landogne et de Pontaumur
- 8 et 9 août 2018
Au festival Bach en Combrailles, Jean-Luc Ho joue Die Kunst der Fuge
© antoine thiallier

À la tête du festival Bach en Combrailles depuis l'an dernier [voir notre chronique du 10 août 2017], Vincent Morel a initié une résidence triennale de Jean-Luc Ho. Pour cette édition 2018, il a confié au claviériste français le cycle Die Kunst der Fuge, réparti en deux nocturnes, à Landogne, au clavecin le 8 août, et sur l'orgue de Pontaumur, le lendemain. Si le recueil, presque un traité systématique pratique du contrepoint, ne précise pas l'effectif attendu, l'usage le plus renseigné demeure le clavier. Le parcours ici proposé ne se contente pas d'adapter l'alternative instrumentale à la facture des polyphonies ; au gré des deux intimités vespérales où sont plongées les nefs respectives, il élabore une narrativité spirituelle qui transsubstantie l'abstraction quasi mathématique des numéros. Afin d'aider le public à mesurer le cheminement musical, chacune des deux veillées s'ouvre avec le Contrapunctus I, pour rappeler le thème initial des variations.

Sous l'ascétique clocher de poche de Landogne, le clavecin rapproche les oreilles autour de la délicatesse des cordes pincées. Pour avoir un volume et un ambitus de ressources expressives plus concentrés que l'orgue, le clavecin n'en permet pas moins une mise en évidence de l'évolution du motif générateur au gré des Contrapuncti. Le n°2 dévoile une parenté avec le premier, avant le troisième distillé sur le clavier du haut, quand le n°4 répond par celui du bas. La rhétorique des registres accompagne celle de l'harmonie, avec une profondeur égale dans l'intelligence et la poétique. Le cinquième et le septième, investissant à nouveau les deux claviers, mettent l'homogénéité de la palette au service d'une authentique plénitude stylistique. Les deux derniers contrepoints de cette première partie, les 12 et 13, l'un et l'autre rectus et inversus, exigeants sans jamais verser dans l'aridité, confirment ce traitement délicat de la juxtaposition des exercices, au diapason de l'irradiation feutrée de l'instrument – et de son ministre, pieds nus, en symbiose avec le dépouillement de la nef auvergnate.

Jeudi, l'essence de la musique se dévoile sous un angle différent, en synchronie avec la profusion de couleurs de la réplique de l'orgue d'Arnstadt sise à Pontaumur. L'élégance aérée du Contrapunctus VI in stylo francese est rehaussée par un toucher délié qui s'appuie sur la fluidité boisée et fruitée des harmoniques. Le chant de l'instrument frémit de manière également vivante dans le n°8, sur un jeu de flûte savoureux, quand le n°9 privilégie une registration d'une ampleur plus idiomatique. Les potentialités dramaturgiques de l'orgue sont mises à profit dans la perspective des dixième et onzième Contrapuncti, la pondération de celui-là servant de tremplin à la vivacité rythmique de celui-ci. Le Canon alla ottava affirme une solennité que l’alla decima plongera dans des sonorités de bombarde. Le Canon alla duodecima prolonge cette séquence de transpositions d'intervalle avant le Canon per augmentationem in contrario motu, baigné dans un tamis d'un calibrage monochrome à la retenue d'autant plus saisissante qu'elle prélude à l'ultime Contrapunctus XIV dont l’abrupte fin frappe à l'issue d'un développement optimal des textures et des plans polyphoniques.

Entre le secret du cabinet et la tribune de l'église, Jean-Luc Ho restitue la densité quasi mystique de Die Kunst der Fuge, dans un accord suprême entre l'oreille et l'esprit : une expérience en soi.

GC