Chroniques

par laurent bergnach

Jean-Christophe Vervoitte dirige l’Ensemble Connect
œuvres de Boulez, Jarrell et Leroux

Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse, Paris
- 15 décembre 2016
Jean-Christophe Vervoitte dirige l’Ensemble Connect (Boulez, Jarrell, Leroux)
© aymeric warmé-janville

Nommé Ensemble ACJW lors de sa création en 2007, l’Ensemble Connect est un groupe de jeunes interprètes aidés pendant deux ans par un programme conjoint des Carnegie Hall, Juilliard School et Weill Music Institute. Cette formation les ouvre à la vie professionnelle mais aussi à l’esprit d’entreprise et à l’engagement citoyen – plusieurs des sept artistes réunis ce soir enseignent à l’école primaire, dans des quartiers populaires de New York (Bronx, Queens). Grâce aux Fondations Edmond de Rothschild et au CNSMD, une résidence leur offre de rencontrer, une semaine durant, élèves et public parisiens. L’atelier-concert de ce soir est l’un de ces rendez-vous, dirigé et commenté par Jean-Christophe Vervoitte (corniste à l’Ensemble Intercontemporain depuis 1993), dont certaines analyses sont reprises ci-après.

« Il faut aimer à forger le hasard », disait Pierre Boulez (Darmstadt, 2 juin 1955). Contribution à un anniversaire du mécène Paul Sacher, son Messagesquisse (1976) va nourrir plusieurs œuvres, telles Répons (1981) et Dérive I (1984). Créée à Londres, cette page aussi brève qu’un « instantané » réunit six musiciens illustrant la force de l’harmonie, dans les pas de Webern – Lee Dionne (piano), Rosie Gallagher (flûte), Mari Lee (violon), Julia Yang (violoncelle), Yoonah Kim (clarinette) et Brandon Ilaw (vibraphone). En cinquante-quatre mesures, le créateur organise un passage du chaos, certes organisé, à un ordre quand même libre. D’emblée, la tendresse du clavier donne le ton général de l’interprétation, frémissante et moelleuse. Le finale en suspension clôt ce qu’Alain Galliari imagine pouvoir accompagner « une cérémonie imaginaire ».

Soucieux d’établir une continuité aussi fluide que significative entre ses productions, le Suisse Michael Jarrell (né en 1958) aime les éléments maîtrisés. Son cycle Assonances, débuté en 1984 avec un solo pour clarinette, s’avère un carnet d’esquisses qui nourrit l’auto-analyse. Augmentant la formation présente sur scène, l’apprenti Andrew Gonzalez (alto) et le chevronné Philippe Grauvogel (hautbois de l’EIC depuis 2010) s’installent pour jouer Assonance IV (Bruxelles, 1991). À peine plus longue que celle de Boulez, cette pièce introduit une dramaturgie basée sur le contraste. Énergique et profuse – ne serait-ce que par une riche percussion (marimba, tam, gong, etc.) –, elle crée du relief en opposant vents et cordes, s’orientant vers « un achèvement mystique » où résonnent les sons nouveaux (pizz’ au piano, crotales).

Dernière étape du concert, AAA (Douai, 1998) met l’accent sur la cadence, mais avec boiteries et décalages de toute une encyclopédie de variations (effet kaléidoscopique, transition accélérée, etc.) – que Vervoitte déclare « maladie du rythme », en plaisantant. Le septuor de Philippe Leroux (né en 1959) est d’ailleurs fort ludique. Il prend comme appui la Suite en sol « la poule » (1728), conçu à la suite d’Image à Rameau (1995). Sublimé par des oreilles nord-américaines aguerries à la musique répétitive, il regorge de mécaniques plus ou moins bien huilées, alternant avec des phases nues de germination ou d’affliction (ralentis épuisés). Voilà de quoi parfaire la réunion de trois moments caractéristiques d’un XXe siècle finissant.

LB