Chroniques

par marc develey

Jayanthi Kumaresh (vînâ), Purbayan Chatterjee (sitar),
Shahbaz Hussain (tabla) et Tumkur Ravishankar (mridangam)

Théâtre de la Ville, Paris
- 10 mars 2012
Jayanthi Kumaresh joue la vînâ au Théâtre de la Ville (Paris)
© dr

On ne peut que se réjouir de voir l’Inde toujours si richement représentée dans la programmation de musique du monde du Théâtre de la Ville. Un jugalbandi réunissant deux fins luthistes est d’autant plus savoureux qu’il fait ici se rencontrer deux traditions au travers de deux instruments apparentés, le sitar hindoustani, du nord, et la vînâ carnatique, du sud : deux façons de déplier la saveur des râgas. « Jugalbandi » : à la fois duo et compétition amicale, il désigne, il est vrai, la formation mais aussi, et indissociablement, l’instant musical – une façon de faire jaillir la musique dans le lien tissé entre deux musiciens par le truchement des formes très strictement réglées au fondement des improvisations qui sont au cœur de cet art.

Le morceau d’ouverture est délivré dans le râga Hamsadhvani. Râga du soir, il est issu de la tradition carnatique mais est également très pratiqué par les musiciens du nord. Pentatonique, il comporte les trois premiers degrés de la tierce initiale de notre gamme majeure, la quinte, la septième et, bien sûr, l’octave. Le sitar de Purbayan Chatterjee installe l’âlâp dans une sérénité repue. La vînâ lui répond de sa chaleureuse voix d’alto, subtilement ornementée par Jayanthi Kumaresh [photo]. Dans un dialogue ininterrompu d’une grande complémentarité, les deux grands luths parcourent le râga en alternance, chacun dans son style propre, dans l’ambitus toujours fort large des ornements de la musique carnatique. Jeux d’imitations et subtils répons délivrent une image nuancée des deux styles : le sitar dans le son texturé de la résonance de ses cordes sympathiques, la vînâ, souvent moins acide et plus immédiatement vocale, en jouant sur un matériau plus sobre que les ornements révèlent.

Jor et Jhâlâ, à la pulsation plus clairement définie, mais sans tout d’abord l’intervention des percussions, sont traversés de longs traits de silences entrecoupés des explosions d’une cellule mélodique dépliant le potentiel euphorisant du râga. À la virtuosité enveloppante du sitar et à l’intensité de la vînâ se joignent bientôt les ciselures rythmiques des tabla de Shahbaz Hussain et du mridangam de Tumkur Ravishankar. La pièce se conclut dans un unisson d’une joie parfaitement subjuguante.

Suit un morceau dans un râga à sept degrés : Dharmavati dans sa dénomination carnatique, Madhuvanti selon l’appellation hindoustani. La pièce rappelle cette fois notre mode mineur par les présences de la tierce mineure et de la quinte, et malgré celle des trois derniers degrés de la gamme majeur.Le climat est de cotonnade enveloppante, entre le velours de la vînâ et le bruit du monde porté par le sitar. Dès l’âlâp, le râga est parcouru avec une grande liberté, dans un jeu traversé d’imitations jusque dans le travail de la résonance des cordes. Le Jor a quelque chose d’épique, dans une atmosphère d’une grande richesse émotionnelle. L’augmentation de la pulsation donne lieu à une virtuosité toujours pleinement accorée à la complicité entre les musiciens. Suit une composition rapidement étourdissante, habitée notamment de jeux rythmiques en imitation entre percussions et cordes. Le finale est moins convainquant peut-être, comme s’il y manquait ce supplément de présence qui fait passer l’écoute de cette musique de l’appréciation admirative à l’enthousiasme.

Après un duo où les deux percussionnistes se relancent la balle rythmique en imitations échevelées, le concert se clôt d’un bhajan (chant dévotionnel) d’une unité aussi joyeuse que touchante.

MD

concert diffusé par France Musique le mercredi 2 mai à 22h30, dans l’émission Couleurs du monde