Chroniques

par bertrand bolognesi

Jane Peters et Luciano Acocella
Orchestre de l’Opéra de Rouen Haute-Normandie

Erich Wolfgang Korngold | Concerto pour violon en ré majeur Op.35
Opéra de Rouen Haute-Normandie / Théâtre des arts
- 7 février 2014
la violoniste australienne Jane Peters, somptueuse dans le Concerto de Korngold
© david morganti

C’est une soirée vingtièmiste que propose Luciano Acocella à la tête de son Orchestre de l’Opéra de RouenHaute-Normandie, une soirée qui parcourt un siècle, puisque la Symphonie n°1 de Mahler (1884-88) fut créée à Budapest en 1889 et que Prélude à la Légende (1989), la pièce d’ouverture, le fut par l’Orchestre de la Suisse Romande, le 23 février 1990 à Lausanne. Il s’agit du seizième opus de Michel Tabachnik, écrit dans une décade particulièrement féconde (Sept rituels atlantes, La légende de Haïsh’, Élévation, Évocation) durant laquelle le compositeur convoque volontiers un effectif choral. Dans Prélude à la Légende, point de chœur, mais une écriture volontiers scandée qui rappelle aussi bien un cérémonial chanté qu’une fête stravinskienne. Cet héritage du maître russe – vraisemblablement lié à l’intérêt porté par le compositeur suisse à des sujets philosophiques et spirituels, mais aussi à sa pratique de chef –, on le distingue souvent dans ses œuvres, notamment dans la conclusion du Concerto pour piano et orchestre. Nous découvrons une page d’abord rythmique, comme arrivant d’un lointain grondement (percussion + piano + contrebasse), d’où sourd une obsédante mélodie de violoncelle. La scansion se radicalise jusqu’à engendrer une danse de la terre, interrompue par un îlot de calme, dans la mélopée méditative des bois. Le retour de la danse bat son plein pour finalement s’éteindre dans un souffle de flûte, sur une pédale de cordes.

Retour en arrière, avec le Concerto pour violon en ré majeur Op.35 (1945), conçu par Erich Wolfgang Korngold dans le troisième printemps de Tabachnik. Pour la première fois, le musicien américain – le Viennois a changé de nationalité en 1943 – tisse une œuvre de son répertoire « sérieux » de motifs empruntés à sa production pour le septième art. Ainsi dénombre-t-on pas moins de quatre thèmes « de cinéma » dans cette page (Anthony Adverse de Mervyn LeRoy, 1936 ; Another Dawn de William Dieterle, 1937 ; The prince and the pauper de William Keighle, 1937 ; Juarez de Dieterle, 1939). Nous retrouvons la violoniste australienne Jane Peters [lire notre chronique du 17 juin 2004], en robe d’or, dans une interprétation d’un lyrisme délicat, infléchie par un son au long cours et d’une discrète sensualité. C’est une chance pour la formation rouennaise de pouvoir compter avec une artiste de ce niveau. À un chant généreusement porté, Luciano Acocella répond par une lecture en contrôle qui sainement se garde de surenchérir la veine hollywoodienne. Après la redoutable cadence du premier mouvement, à la Romance de déployer sa lumineuse élégie. La soliste insuffle un phrasé nourri, exquisément doux mais jamais sucré, dans une conduite toujours rigoureuse. L’ultime Allegro bondit gaillardement jusqu’au final, assez drôle.

Ovationnée par la salle, Jane Peters offre en bis le deuxième mouvement (Malinconia) de la Sonate Op.27 n°2 d’Eugène Ysaÿe, dans une approche infiniment sensible, sans emphase, d'une émouvante simplicité.

Le concert se conclut avec la Symphonie en ré majeur de Gustav Mahler, commencée en un grand secret. Il faudra cependant attendre le troisième épisode (Feierlich und gemessen, ohne zu schleppen) pour que l’orchestre se révèle plus à son aise dans une partition qui lui résiste à plus d’un titre – un grand effort à fournir du côté des cuivres, par exemple (LA maladie des orchestre français, cela dit). Citons au passage la contrebasse solo, présence éminemment musicale de Gwendal Etrillard. En septembre prochain, ces troupes seront menées par un nouveau chef, le Britannique Leo Hussain, récemment remarqué à La Monnaie dans Le Grand Macabre (Ligeti) et à l’Opéra Comique pour Les pêcheurs de perles (Bizet). Une collaboration de trois ans commencera à partie de la saison 2014/15, avec un premier concert symphonique en novembre, suivi de la mise en place de séries de ce type sur les mois suivants – sans dévoiler encore quelque embryon de programme que ce soit, l’artiste laisse déjà entendre son faible pour Mozart, Beethoven et la musique d’aujourd’hui –, puis une première production lyrique pendant la saison 2015/16. Quelle mission se fixe-t-il aujourd’hui ? « Profiter de la bonne discipline de l’Orchestre de l’Opéra de Rouen pour confirmer sa compétence dans le répertoire, tout en explorant la diversité de la création contemporaine, bien sûr, mais surtout lui construire un son spécifique, une personnalité bien à lui ». À suivre…

BB