Chroniques

par nicolas munck

JACK Quartet
du XIVe au XXIe siècle

Festival Messiaen au Pays de La Meije / Église du Chazelet
- 2 août 2014
le compositeur Allain Gaussin au Festival Messiaen au Pays de La Meije 2014
© colin samuels

Bien que déjà hautement perché, nous prenons encore un brin d’altitude et avoisinons cette fois les 1800m pour le concert du soir. En l’église du Chazelet, au cœur du menu en grand écart chronologique, basculant du XIVe au XXe siècle, le JACK Quartet fait entendre deux quatuors de Xenakis et Chakra d’Allain Gaussin [photo], ancien élève de la classe d’Olivier Messiaen au Conservatoire de Paris, dont on peut regretter que la musique, pourtant de grande qualité, soit si peu jouée sur le sol français.

Inscrit dans la volonté du Festival Messiaen au Pays de La Meije de donner clés d’écoute et de compréhension à son public, ce programme fait écho à la conférence de Gérard Condé (compositeur, journaliste et critique musical), donnée le jour même et consacrée, justement, à la musique de chambre de Xenakis. Après avoir brossé un rapide portrait du compositeur et de son évolution styliste (du Bartók grec à la musique symbolique), l’orateur insistait particulièrement sur la relation à la musique concrète, ainsi que sur l’importance de la dimension organique (« le roc plus que le béton ») presque naturaliste irriguant la pensée d’un musicien poétisant le langage de la mathématique – une introduction parfaite au temps de concert.

Connaissant déjà le JACK Quartet pour la qualité ses enregistrements de la musique de Xenakis et son investissement sans faille dans le répertoire d’aujourd’hui (travail auprès du compositeur italien Mauro Lanza, entre autres), nous entendons pour la première fois la phalange américaine en live : quatre jeunes musiciens, tout sourire, à l’énergie et à la fantaisie bien communicatives. Guillaume de Machaut et Rodericus (codex de Chantilly) s’insèrent dans une proposition fortement xenakienne. Si ces ballades et motets du XIVe siècle fonctionnent efficacement par un quatuor, nous y trouvons une froideur un peu métallisée et une transcription qui aurait pu gagner en recherches et trouvailles d’instrumentation (malgré quelques effets percussifs et jeu proche du chevalet). En fait, nous regrettons presque l’utilisation d’une facture plus ancienne agrémentée de sons parasites de frettes et de « copeaux de sons » (pour faire nôtre l’expression de Gérard Pesson).

Toutefois, ce léger désappointement laisse immédiatement place à une admiration presque médusée à l’audition des deux redoutables opus de Xenakis. Dans Teotora (1990), troisième et ultime quatuor à cordes du maître, l’écriture homorythmique fonctionnant sur une isolation de blocs très caractérisés (violons I/II, alto/violoncelle) est menée dans un son parfois tranchant, avec une exactitude impressionnante. Parvenir à maintenir une homogénéité proche de la fusion dans une écriture si ciselée et rythmique tient du numéro de haute voltige.

De sept ans son aînée, Tetras (1983) développe, dans une articulation en neuf sections bien délimitées, un discours tout aussi dense, mais plus percussif, avec une multiplication d’impacts sur la caisse, de jeu flautendo, de fortes pressions d’archets, pizzicati et relais deglissandos. Que dire de plus si ce n’est que nous avons affaire à une formation d’exception qui livre cette page effroyablement difficile avec une facilité et une décontraction déconcertante.

Les mêmes qualités d’équilibre et de contrôle sont mobilisées dans Chakra de Gaussin (1985), ici présent. Faisant appel à la fois aux ressources traditionnelles de l’écriture en quatuor et à des modes et techniques de jeu bien spécifiques (utilisation de plectres, taping, effets de juxtaposition et de spatialisation de pizzicati, etc.), le compositeur met en forme une œuvre liée à ses préoccupations des années quatre-vingt, développée à partir de « germes ou noyaux musicaux » (dit-il) à fort potentiel énergétique. Entre sons fusés, projetés, parfois aux limites de la saturation, il en résulte une musique à l’énergie déferlante qui saisit tant l’oreille que le corps tout entier de façon quasiment hypnotique. Face à une telle expérience d’écoute, on se demande encore pourquoi l’œuvre de ce compositeur et poète est peu présente dans les salles.

NM