Chroniques

par gilles charlassier

Il trovatore | Le trouvère
opéra de Giuseppe Verdi (version de concert)

Théâtre des Champs-Élysées, Paris
- 3 mai 2011
le chef d'orchestre Emmanuel Joel-Hornak
© dr

Les représentations en version de concert présentent l’avantage de se concentrer sur la facture musicale sans se laisser distraire par les intentions scénographiques. La lecture de Charles Roubaud, présentée à Marseille, puis Orange [lire notre chronique du 28 juillet 2007], avant une tournée le mois dernier à l’Opéra national de Bordeaux, n’est pourtant guère propice à la diversion visuelle. C’est d’ailleurs à la suite de ces performances girondines que les forces de la maison aquitaine sont invitées ce soir avenue Montaigne.

Second ouvrage de la trilogie populaire verdienne, entre Rigoletto et La Traviata, Il trovatore peut être considéré comme l’archétype de l’opéra à scènes fortes. Inspiré du drame de Guttierez, le livret ne fait pas toujours grand cas de la vraisemblance. Pourtant, les numéros qui se succèdent ont une efficacité et une puissance lyriques exemplaires, emmenés par des caractères vocaux puissants.

La Leonora d’Elza van den Heever a été saluée par la critique. Le soprano sud-africain possède une voix aussi imposante que sa stature, dépassant d’une tête – et parfois d’une voix aussi – le Manrico de Giuseppe Gipali. Non point que le ténor albanais ne démérite, faisant souvent preuve d’une sensibilité louable. Un certain défaut de vélocité le pénalise dans le Di quella pira, rendant la tenue du contre-ut discrètement maladroite, laquelle ne retire rien à la vaillance sincère de l’interprète. Sa Leonora n’appelle pas les mêmes réserves. La puissance opulente de la voix magnifie la maîtrise de la ligne. La tenue des deux grands airs, Tacea la notte et D’amor sull’ali rosee, n’a d’égale que la vigueur de la cabalette du premier. Le bel canto revêt les habits du dramatisme plus ample dont l’a paré Verdi. Le matériau brillant a parfois la dureté du diamant, limitant l’impact des intentions expressives. La souplesse manque ici et là à ce gosier grand format, et retire un peu de richesse à l’aigu. Mais c’est cependant une Leonora bien entière que nous entendons ce soir.

Nous ne pouvons en dire autant de l’Azucena d’Elena Manistina. Dans ce concert où retentit la domination des femmes, le mezzo impressionne par des graves abyssaux, donnant au Stride la vampa une épaisseur remarquable. Hélas la tessiture n’a pas les mêmes cimes. La voix s’y fait inconstante, et la justesse aussi. Bien que dans son duo avec le Conte di Luna, au troisième acte, la gitane couvre son adversaire, celui-ci a pour lui un legato de belle qualité. Remplaçant Ludovic Tézier initialement prévu, Alexeï Markov déploie une texture riche et ronde – l’école slave dans ce qu’elle a de meilleur, sans les excès dont elle s’orne chez sa compatriote. Le contraste avec le Ferrando sonore mais peu subtil de Wenwei Zhang n’en est que plus saisissant. Eve Christophe-Fontana donne à Inez des atours un peu acides, tandis que Humberto Ayerbe Pino campe valablement Ruiz.

Opéra de chanteurs, Il trovatore relègue l’orchestre à un rôle d’accompagnateur, de grande guitare, souvent caricaturée et dénigrée par la suite. Et pourtant les partenaires pianistiques des interprètes de Lieder savent combien cet art demande de la subtilité, ce dont Emmanuel Joel-Hornak [photo] ne semble guère s’être préoccupé. Si les couleurs de l’harmonie de l’Orchestre national de Bordeaux Aquitaine sont rehaussées de flatteuse manière, la mise en place se révèle perfectible. La masse écrasante des cuivres ne parvient pas à masquer les imprécisions des cors. Le rythme s’amollit parfois pour favoriser le plateau vocal. La direction plus théâtrale que musicale ne nous épargne pas un final précipité et bruyant. Le chœur de l’Opéra national de Bordeaux réalise une prestation honnête sous la direction d’Alexander Martin.

GC