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Chroniques
Il pirata | Le pirate
opéra de Vincenzo Bellini
Parce qu’il exige des voix de la sûreté, de la santé mais encore du style, Il pirata de Bellini n’est pas souvent représenté. C’est vraiment un événement d’assister à une représentation de ce chef-d’œuvre du bel canto avec lequel le compositeur sicilien faisait acte d’une facture rigoureuse qui, si elle peut surprendre de nos jours ceux qui connaissent bien ses ouvrages postérieurs, fit recette en son temps. Avec le succès de ce Pirate, la carrière du jeune Vincenzo serait lancée. Après une absence de soixante-et-onze ans, l’Opéra de Marseille avait confié à Stephen Medcalf une nouvelle production [lire notre chronique du 25 février 2009] ; de même le Teatro alla Scala, où la pièce fut créée le 27 octobre 1827, n’avait pas programmé Il Pirata depuis soixante ans. Et en 1958, Maria Callas marquait à tout jamais le rôle d’Imogene !
Aujourd’hui, le grand soprano bulgare Sonya Yoncheva s’illustre magnifiquement dans une incarnation flamboyante. Son art conjugue une couleur volontaire, une dynamique méticuleusement travaillée, une technique hors concours, à l’œuvre dans l’agilité, l’expressivité et le legato – divin ! Plus avance la soirée, plus elle nous étourdit par sa vocalité hors du commun. Autant dire qu’elle relève facilement le gant et fait largement oublier Callas dont on ne se souvient qu’après le spectacle.
Impossible d’en dire autant de ses partenaires, aïe…
Piero Pretti est crédible en Gualtiero, parce qu’il est vaillant et gère très bien la respiration et le phrasé. Pourtant, les aigus sont trop souvent brutalisés, dénaturant le timbre et mettant même en danger la justesse. Pour finir, sa prestation s’avère, dans l’ensemble, antimusicale. Malheureusement, il y pire ! Pourquoi avoir distribué Nicola Alaimo en Ernesto ? Si c’est parce qu’il n’y avait pas d’autre baryton sous la main, on peut comprendre, bien qu’une telle raison ne soit jamais la bonne… Le personnage perd tout éclat avec un chanteur plutôt léger. Alaimo n’y parvient pas. Le résultat est sans impact, manque de corps, reste toujours lointain – dommage. On remarque une étonnante lumière dans la voix de Francesco Pittari, parfaitement à l’aise dans le petit rôle d’Itulpo. La basse Riccardo Fassi donne un bon Goffredo, très satisfaisant. La chaleur généreuse de Marina de Liso est un luxe dans la partie de la camérière Adele.
Les rumeurs de la première sont arrivées jusqu’à ce soir, selon lesquelles le chef d’orchestre avait bien mérité les huées du très sévère public milanais. Si le cast ne convainc pas, la proposition vive, concentrée et soigneuse de Riccardo Frizza, comme toujours proche des voix [lire nos chroniques de Lucia di Lammermoor, Aida et Falstaff], semble à des années-lumière d’une telle réaction. La ciselure est vraiment subtile et profite de la compétence atavique des musiciens de la maison, décidément merveilleux dans ce répertoire. Il faut aussi applaudir le Coro del Teatro alla Scala et son chef Bruno Casoni pour des interventions vraiment réussies.
En collaboration avec le Teatro Real (Madrid) et le San Francisco Opera, la nouvelle production d’Emilio Sagi vise une élégance racée. Le décor sombre de Daniel Bianco évoque efficacement la mer incertaine, la houle toujours prête à menacer. Les lumières d’Albert Faura dessinent adroitement l’atmosphère romantique et des personnages du début du XIXe siècle, contemporains de Bellini, dans les costumes austères de Pepa Ojanguren. Mais tout cela est trop figé. On ne doit qu’à Sonya Yoncheva le feu nécessaire : sans son métier, la criante absence de direction d’acteurs de cette proposition laisse de marbre.
KO