Chroniques

par gilles charlassier

Il mondo della luna | Le monde de la lune
dramma giocoso de Joseph Haydn

Opéra-Théâtre Eurométropole de Metz
- 25 janvier 2022
Il mondo della luna, opéra de Joseph Haydn à l'Opéra de Metz
© luc bertau | opéra-théâtre eurométropole de metz

Quand, le 3 août 1777, le Château d’Eszterházá voit la première d'Il Mondo della luna du Kapellmeister du palais, Franz Joseph Haydn, commandé pour les noces d’un des fils du prince Nicolas avec la Comtesse Maria Anna Weissenwolf, c’est d’abord à un divertissement dans l’esprit du temps auquel assistent les invités choisis. Sur un livret de Goldoni initialement mis en musique par Galuppi dont la première se tint au Teatro San Moisè de Venise en 1750, avant d’être repris jusqu’à la fin du XVIIIe siècle entre autres, par Paisiello, et Haydn donc, l’ouvrage s’appuie sur les ressources de la farce et des feintes pour manipuler les arrangements sentimentaux et matrimoniaux avec une faconde que l’on retrouvera certes dans les opus de Mozart et Da Ponte, et plus encore les premiers Rossini quelques décennies après, tout en s’appuyant sur un artifice exotique très Siècle des Lumières, où l’altérité fonctionne comme un miroir des mœurs contemporaines – déjouant les censures. À ce titre, le télescope – invention relativement récente à l’époque et aux perfectionnements encore davantage, qui permit d’étendre la cartographie céleste – constitue un pivot métonymique de l’intrigue et de ses illusions d’optique, réelles et dramaturgiques.

Pour le spectacle qu’il a conçu pour l’Opéra-Théâtre Eurométropole de Metz, avec le Clermont Auvergne Opéra – il en est le directeur – qui l’accueillera la saison prochaine, Pierre Thirion-Vallet a choisi de prendre au mot le prétexte scientifique, en articulant sa lecture sur cet accessoire d’examen astronomique pour catapulter la trame à l’heure de la guerre froide et de la conquête de la Lune. Ainsi, moyennant quelques opportunes traductions anglo-saxonnes ou russes des noms originels italiens, le professeur Ecclitico devient un agent infiltré du KGB, qui sous couvert d’enseigner l’astrophysique, prépare le vol des documents secrets de la mission américaine en se servant des noces de deux de ses complices, Cecco et Ernesto, avec les filles de Buonafede, comme d’un Cheval de Troie. Plus que dans le décor relativement sage de Frank Aracil, entre les globes planétaires en suspension dans la salle de cours, le clair de Terre puis le clair de Lune au deuxième acte, et les Formica de la demeure de l’agent de la NASA au dernier, c’est dans la réécriture des dialogues, en français, que réside l’essentiel d’une proposition dramaturgique, qui, sous les lumières de Véronique Marsy, et même avec les mouvements chorégraphiques dans un registre comique réglés par Paul Bougnotteau, ne cède pas au bougisme scénographique parfois en vigueur aujourd’hui. Si les polymères des costumes sur la Lune de convention font une amusante, sinon presque enfantine, parodie de la cosmonavigation, les zygomatiques sont d’abord sollicités par des traits d’esprit qui font autant allusion à la géopolitique des années soixante qu’à celle de nos jours quand les demoiselles surnomment Vlad leur professeur soviétique. De manière générale, la transposition historique ne s’embarrasse pas toujours de la rigueur chronologique, quand, lors du finale, l’invocation de Gaulle pour l’asile politique en France après le succès de Neil Armstrong le 21 juillet 1969 risquerait de résonner dans le vide, le Général ayant démissionné le lendemain de l’échec de son référendum en avril de la même année. Le départ sur une sorte de maquette de Concorde, avec drapeaux tricolores, s’avère plus judicieuse, le premier vol d’essai du supersonique datant de mars 1969 – à moins qu’il ne s’agisse d’un Tupolev 144, projet soviétique concurrent qui avait bénéficié de l’espionnage industriel, sujet au cœur de cette relecture du Mondo della Luna. Au delà de ces clins d’œil, cette vague jamesbonderie, contrainte peut-être pas l’intrigue originelle, ne va pas jusqu’au bout de l’esprit 007.

Du plateau se distingue l’Ecclitico de Sébastien Droy, glissant vers le ténor de caractère, avec une nasalité bien impactée, qui penche souvent plus vers le théâtre, même si les notes ne sont nullement sacrifiées. En Buonafede, Romain Dayez ne se révèle pas seulement personnage antagoniste. Le baryton belge fait valoir une intégrité et une chair vocales appréciables, portant le rôle vers un authentique lyrisme avec une séduction sobre et naturelle dans la pâte et le timbre qui compensent certaines limites dans la virtuosité ou les extrêmes de la tessiture. Enguerrand de Hys campe un Cecco clair, dans une composition qui l’expose peu, quand Mireille Lebel résume les qualités d’un travesti en Ernesto, avec un mezzo homogène et adéquat. Le trio des demoiselles révèle une belle complémentarité, entre les juvéniles et piquantes sœurs, Clarice et Flaminia, confiées à Déborah Salazar et Catherine Trottmann, et la Lisetta pétillante et colorée de Pauline Claes.

Préparé par Nathalie Marmeuse, le Chœur d’hommes de l’Opéra-Théâtre Eurométropole de Metz remplit son office. Remplaçant David Reiland souffrant, le jeune Victor Rouanet restitue la vitalité de la partition, avec des pupitres de l’Orchestre national de Metz attentifs au tempérament du classicisme viennois, à défaut d’en restituer les saveurs avec toute la légèreté sapide à laquelle les instruments d’époque nous ont accoutumés. Cette plaisante comédie ne saurait cependant faire oublier que l’opéra n’est sans doute pas la forme dans laquelle le génie de Haydn s’est exprimé de la manière la plus inimitable.

GC