Chroniques

par gilles charlassier

Il Complesso Barocco
Leo, Battista Pergolesi et Jommelli

Auditorium du Louvre, Paris
- 12 janvier 2011

Le corpus liturgique a de tous temps abondamment nourri l’inspiration musicale et la traduction de l’émotion religieuse a emprunté les visages les plus divers. Le programme proposé ce soir par Alan Curtis et son ensemble Il Complesso Barocco en présente trois.

La première partie rend hommage à la Vierge Marie, avec le Salve Regina de Leonardo Leo et le Stabat Mater de Pergolesi. Si le second est entré depuis bien longtemps dans le patrimoine musical passif de tout mélomane, la pièce de Leonardo Leo mérite la découverte. Le poème attribué à Herman de Reichenau est composé de quatre distiques. Le compositeur napolitain a choisi de les mettre en valeur avec un sens des contrastes harmoniques et rythmiques typiquement baroque et d’une remarquable efficacité picturale. Chaque vers semble comme une enluminure où le da capo confirme la couleur et l’affect dominants, et Roberta Invernizzi les traite comme tels. Le second couplet est à cet égard exemplaire. Après un Allegro en mode majeur où les appels des chrétiens s’élèvent avec une tension qui resplendit presque sur les modulations (Ad te clamamus, exsules filii Evae), les soupirs et les gémissements qu’exhale le monde d’ici-bas, vallée de larmes (Ad te sospiramus, gementes et flentes in hac lacrimarum valle), se fondent dans les murmures d’une basse continue colorée par l’intériorité de l’orgue positif. Le traitement vocal est digne de la meilleure veine illustrative du baroque italien et le soprano montre ici un art de la nuance d’une remarquable délicatesse. L’impact émotionnel est atteint, l’humilité du recueillement suscitée chez l’auditeur. Roberta Invernizzi fait preuve d’une musicalité qui rend justice à cette partition délaissée. On peut seulement regretter des attaques bridées un peu trop avant leur acmé, créant une sorte de ressac assourdi.

Le Stabat Mater de Pergolesi se laisse distribuer des manières les plus diverses, de l’appariement cristallin aux contrastes vocaux les plus tranchés. Le choix d’Alan Curtis, en confrontant le soprano brillant et expressif de Roberta Invernizzi au mezzo à la pâte généreuse de Romina Basso, semble se porter sur la seconde extrémité. L’association de timbres et de techniques si différents donne un étonnant dialogue. On pourrait presque entendre dans les duos de la célèbre partition des airs pour soprano avec mezzo en accompagnement obligé. On opposerait aisément la sobriété expressive de madame Invernizzi à l’investissement dramatiquefacialement visible de madame Basso. Tout cela permet de renouveler le contrepoint vocal du Stabat Mater avec une originalité déconcertante. La conduite rythmique d’Il Complesso Barocco met en évidence une vivacité savoureuse dans le Quae morebat. Une subtile attention aux modulations nourrit le Sancta Mater, tandis qu’une célérité un rien excessive avantage l’allure fuguée du Fac ut ardeat tout est moins favorable à l’Inflammatus et accencus. L’intériorité de l’ouvrage reste cependant reconnaissable et l’exemplarité d’un mode de l’expression musicale de la piété demeure perceptible.

Après l’entracte, nous laissons Marie pour nous tourner vers le Seigneur avec le Miserere de Jommelli, écrit sur l’adaptation en italien du Psaume 51. Est présenté là le visage rhétorique de la traduction harmonique de l’émotion sacrée. Le musicologue qui court dans les veines d’Alan Curtis met un point d’honneur à défendre cette œuvre dont les contemporains du compositeur reconnaissaient la richesse d’invention et le don mélodique. La variété thématique frappe l’auditeur dans cette suite de petites démonstrations de savoir-faire harmonique. La plainte Ah Pietà Signor, qui jalonne l’ouvrage, lui donne une certaine unité architectonique et constitue un port d’attache à l’émotion. Il n’est pas certain cependant que la verve rhétorique soit la plus apte à impressionner l’amateur, et ce n’est guère un motif d’étonnement que ce ne soit pas l’inspiration privilégiée par la postérité. Bien sûr, on applaudira la persévérance des deux solistes et l’engagement des musiciens. Mais cela ne suffira pas à laisser une trace mnésique autre que labile.

GC