Chroniques

par bertrand bolognesi

Il Bagatto : la main heureuse

Sinfonia en Périgord / Abbaye de Chancelade
- 29 août 2006
partie de musique et de cartes avec Il Bagatto
© j.j. chabert | sinfonia

Vous rappelez-vous ? L'an dernier, nous évoquions les compagnonnages deSinfonia. David Theodorides, directeur du festival Sinfonia en Périgord, nous en parlait en ces termes : « La transmission, que l'on peut concevoir de diverses manières, nous parait primordiale. Il y a des académies où les jeunes musiciens vont recueillir les conseils de grands maîtres, comme Ambronay. À Sinfonia, nous avons imaginé d'aider à la professionnalisation de certains d'entre eux dont on a pensé qu'ils en valaient la peine, partant que la création de nouvelles formations est une chose très difficile dans le contexte de vedettariat qui envahit malheureusement la musique classique aujourd'hui. C'est un devoir d'encourager les jeunes artistes, comme il l'est pour les festivals de constituer de véritables pôles de résistance à un relatif pourrissement du système ». Ce bienveillant désir de transmission et d'aide nous fait découvrir aujourd'hui un tout nouvel ensemble, Il Bagatto, parrainé par le violoniste Patrick Bismuth.

Quatre jeunes gens – Jérôme van Waerbeke au violon, Andreas Linos à la basse de viole, Miguel Henry aux luth, guitare et théorbe, enfin Masahito Kasahara qui joue l'archiluth et le cornet à bouquin, mais surtout chante les Canzoni de Frescolbaldi – régulièrement amenés à se produire ensemble ont finalement décidé de créer leur propre formation. Ils l'ont appelée Il Bagatto, soit le Mage ou le Bateleur, l'un des triomfi (atouts ou arcanes majeure) du modèle de jeu de cartes Visconti-Sforza (XVe siècle).

Cet après-midi, à Chancelade, lorsque le public entre dans l'église une table formée de quatre valises rouges siège au centre d'un espace que l'on dira « scénique ». En haut de plateau sont suspendues sept cartes à jouer de grand format, reproduites du fameux jeu précité dont les originaux sont conservés par la famille bergamasque Colleoni et par la Pierpont Morgan Library de Ney York. Ce décor est réalisé par le violiste Andreas Linos avec un goût exquis, déclinant par exemple des motifs de dentelles, tant dans le dessin des cartes que dans celui du coffret d’où les puiser.

Pendant le doux papotage coutumier d'avant-concert, les artistes, arborant des costumes nettement connotés Sud, prennent place autour de la table. Ils battent les cartes et commencent à échanger... musicalement. De même que les personnages du Château des destins croisés d'Italo Calvino, ils content plusieurs Canzoni de Girolamo Frescobaldi dont placer la narration sous la protection fortuite des cartes. C'est donc selon un hasard raisonnablement circonscrit que chaque nouvelle carte définira bientôt la prochaine partie à jouer. De là naît un concert inattendu dont les interprètes recueillent les partitions en déroulant les avatars, révélant dans un même geste musique et peinture, puisque un montage visuel réalisé à partir de trois tableaux de Caravaggio se dessine peu à peu. Pendant cette opération vite ritualisée, ils improvisent.

Invités dans le jardin d'Il Bagatto, les spectateurs sont rapidement absorbés par un moment de musique pas comme les autres, offert par la main heureuse de Sinfonia, moment auquel ils accordent une qualité d'écoute exceptionnelle car toujours en attente et en éveil.

BB