Chroniques

par bertrand bolognesi

Igor Stravinsky | Œdipus Rex
Orchestre national de France, Daniele Gatti

Bernheim, Ganassi, Relyea, Schukoff, Zeppenfeld
Théâtre des Champs-Elysées, Paris
- 24 avril 2014
1952, Oedipus Rex de et par Stravinsky, photographié par Boris Lipnitzki
© boris lipnitzki | œdipus rex, paris, 1952

Curieux menu que celui concocté par l’Orchestre national de France, dans le cadre des concerts célébrant ses quatre-vingt ans… S’y trouvent mêlés un grand oratorio latin de Stravinsky, un des opus les moins intéressants et les plus rebattus de Dutilleux, enfin une musique de danse de Beethoven.

1801, d’abord, et la création à Vienne du ballet Die Geschöpfe des Prometheus Op.43 dont Daniele Gatti joue l’Ouverture. Introduction gentiment poussive, pâte écrasante, puis frénésie surcontrastée de cordes qu’on découvre assez peu en place, voilà qui s’éloigne assez de l’actualité de l’œuvre, brossée à gros traits. Les indéniables qualités du chef italien ne sont pas de la fête. Bond dans le temps et dans l’espace avec Métaboles, donné pour la première fois à Cleveland en janvier 1965. L’appel initial, avec son côté Varèse/Jolivet, impose une figure incantatoire qui fleure bon ses années vingt, nous rappelant, s’il en était besoin, que le compositeur possédait un art personnel de la collecte, à la façon de ces recueils de cuisine qui font le bonheur de la ménagère. De là à chantonner L’arbre des songes en passant l’aspirateur et à faire les vitres en sifflant Tout un monde lointain, il n’y a qu’un pas que l’imagination franchit aisément tant ce salmigondis s’avère stérile et ennuyeux. D’autant que l’ONF n’affirme pas une grande forme, ce soir, avec un solo de violoncelle à l’emporte-pièce et des bois maladroits ! Le plus lourdement possible, Gatti accentue les sections rythmiques, verbiage de mauvaise bobine soviético-havanaise avec jazz de copie, quelque part entre Stravinsky et Bernstein.

« Lourdement », disions-nous… Voilà qui définit au plus près l’Œdipus Rex de Stravinsky et plus encore l’exécution ici livrée. Le fréquent recours à la scansion est appuyé comme rarement, jusqu’au martellement, ce qui laisse perdre les délicats chromatismes des bois et génère quelques décalages dans la partie chorale. Deux circonstances viennent entraver la réalisation. D’abord le placement des chanteurs derrière l’orchestre, tutti qui forcément les abandonne loin sur la route, et juste devant le chœur dont les fragilise la vaillante masse ; ensuite l’approche en gants de boxe d’un chef-frappeur qui n’a pas inscrit la question des équilibres à la charte de cette soirée. Résultat : tout le monde force. Heureusement, la vue demeure aigue, de sorte que nous identifions les solistes ; car pour sûr, l’oreille n’y parviendrait pas, tant les voix semblent dénaturées par cette déplorable gonflette.

Aussi connut-on ailleurs Benjamin Bernheim plus musical (Berger) et John Relyea plus précis (Créon, Messager). Quoiqu’irréprochablement posé, même Georg Zeppenfeld paraît terne (Tirésias) ; on n’en retrouve pas la couleur spécifique, habituellement si prégnante. Viendrait-il à l’esprit de quiconque de mettre en doute les grands moyens, le talent et la maîtrise du mezzo-soprano Sonia Ganassi, par exemple ? Sa Jocaste pourrait en faire douter plus d’un, cependant. Enfin, après des attaques assez dures, à l’instar de l’écriture ô combien redoutable du rôle, Nikolaï Schukoff s’assouplit peu à peu. « L’envie déteste la fortune… » scelle la reprise en main de son chant, puis Œdipe dans la peur, comme du bout des lèvres. Il n’en va évidemment pas de la responsabilité de ces artistes dont on salue régulièrement, ici et là, le grand niveau des prestations. Avec un peu de chance, un salutaire maringouin nous plongera bientôt dans un profond sommeil où s’effacera ce mauvais moment.

BB