Recherche
Chroniques
Ictus et Tom De Cock créent les pages de Jieun Jeong, Jinwook Jung, Krõõt-Kärt Kaev, Jia Yi Lee, Maxime Mantovani, Théo Mérigeau, Myrtó Nizami, Nathaniel Otley, Jonatan Sersam, Sungwon Shin et Rachel C. Walker
Chaque année, l’académie Voix nouvelles propose à des compositeurs – il y a également une section interprètes – de préparer une nouvelle pièce dans le cadre d’une résidence et avec le soutien de trois maîtres venus d’horizons divers. Cette année, il s’agit de Frédéric Durieux, de Clemens Gadenstätter et de Dmitri Kourliandski. Deux concerts programmés le premier dimanche de septembre et confiés aux excellents pupitres de l’ensemble Ictus, que dirige Tom De Cock, permettent d’apprécier le fruit de cette gestation, qui porte plus ou moins l’empreinte des conseils prodigués ou de la personnalité musicale.
La session du matin s’ouvre avec deux opus concentrés sur la facture et la couleur instrumentales : Gone in no time de la Grecque Myrtó Nizami (née en 1994), magnifié par le violoncelle de Marie Ythier (artiste en résidence triennale à Royaumont jusqu’en 2024), et Vaguelette en rémanence de la Coréenne Sungwon Shin (née en 1995), dont l’effectif – flûte, violon, viole de gambe, contrebasse et trompette – croise époques et répertoires. Le traitement de la voix est l’affaire de Presencia de sombra pour soprano, violoncelle et viole de gambe du Suédois Jonatan Sersam (né en 1996), nimbant des halos d’ombres contrariés par des polarisations mélismatiques qui ne sacrifient pas moins à un certain académisme. L’initiative de l’Étasunienne Rachel C. Walker (née en 1994), dans Anamu alla al’hajiri an’natayi pour deux sopranos, percussion et trompette, esquisse une scénographie sonore habile sur la scène du Réfectoire des moines : aux quelques mesures sur la tribune de pierre, figurant vraisemblablement une apparition angélique, répond la volubilité cosmopolite d’un chant fusionnant les gutturalités sémites et sinophiles, qui peut séduire par sa virtuosité et sa palette, à défaut, dans ce condensé de certains gestes contemporains, de renouveler l’imaginaire musical. Avec la répartition de la flûte Paetzold et de la trompette au fond de l’auditoire, face à une trio clavier, guitare et percussions sur le plateau, Terrerae de la Singapourienne Jia Yi Lee (née en 1996) propose une autre théâtralité ; elle fait contraster deux granulations sonores pour façonner une efficace spatialisation qui a le mérite de distiller un plaisir ludique à partir d’intentions enracinées dans le faire plus que dans le concept.
L’après-midi fait apprécier les productions des cinq autres lauréats de l’édition 2022. Pour soprano, viole de gambe et guitare électrique, Plan à vol de corbeau, poème n°1 du Coréen Jinwook Jung s’affirme comme une musique de traces où les notes sont consumées jusqu’à leur souffle. La maîtrise et le procédé rappellent que le compositeur a étudié dans la classe de Gérard Pesson. Futile pour soprano, flûte, violon, viole de gambe, contrebasse, clavier, percussion et trompette – et un texte de Maeterlinck – de la Coréenne Jieun Jeong (née en 1992) porte la patte de Kourliandski dans les stéréotypes bruitistes du début, mais se distingue surtout par un véritable sens de la construction formelle, articulée autour de l’évolution du matériau sonore. Au contraire, Mycelium pour flûte, trompette, percussion, guitare électrique, clavier, violon, violoncelle et contrebasse du Néo-Zélandais Nathaniel Otley (né en 1997) se disperse dans des trouvailles de timbres et de gestes puisant dans un vaste fonds collectif consolidé par des décennies d’expérimentation. Plus mûr peut-être, le Français Maxime Mantovani (né en 1984) propose un magma d’une authentique cohérence par-delà une certaine vacuité du propos dans Au regard de Prismes – Ma déraison d’être pour soprano, flûte, violon, violoncelle, contrebasse, clavier et guitare électrique : les vertus tératogènes du micro servent une jubilation de potentialités techniques qui ne craignent pas le vintage dans les effets comme dans les intentions.
Avec Op Op CCC Variations pour soprano, flûte, violon, violoncelle, contrebasse, clavier et guitare électrique (sur un texte de Christophe Tarkos) du Français Théo Mérigeau (né en 1987) [lire notre chronique du 30 janvier 2019], la conclusion de la session est la plus heureuse. D’emblée s’affirme une sonorité et une consistance identifiables qui ne se relâcheront pas au fil des développements d’une pièce témoignant de l’évidente science de la dynamique d’un flux dont le visage se renouvelle à chacune des variations. L’argument formel dépasse sa propre dévolution et s’inscrit dans une recherche poétique, avec une coda étale où le discours se dilue peu à peu dans le silence qui l’entoure, éclairant moins favorablement la diction allophone de Johanna Vargas que dans les attaques percussives de la première partie. La page affirme un métier accompli et fait pressentir une voix originale que l’on espère bientôt pouvoir reconnaître également en quelques mesures. Le concert se refermait par une commande : Schablonen pour guitare électrique, kaléidoscope d’inventions sans doute un peu gratuites de Krõõt-Kärt Kaev, Estonienne née en 1992 et lauréate de l’Académie en 2021.
GC