Chroniques

par laurent bergnach

I Went To The House But Did Not Enter
concert scénique d’Heiner Goebbels

Festival d'Automne à Paris / Théâtre de la Ville, Paris
- 23 septembre 2009
I Went To The House But Did Not Enter, concert scénique d’Heiner Goebbels
© maria del curto

Alors qu'il enseigne le théâtre depuis plus de dix ans maintenant, Heiner Goebbels (né en 1952) continue de s'interroger sur la présence scénique dans ses propres créations, en renonçant notamment à l'approche directe et abrupte – « vous êtes assis au premier rang, l'acteur vous crie dessus et vous donne le scénario ainsi que les idées qu'il véhicule, clefs en main ». Dans la lignée de ses précédents spectacles – Eislermaterial [lire notre chronique du 28 novembre 2004], Paysage avec parents éloignés, Eraritjaritjaka, etc. –, Goebbels refuse de restreindre l'horizon du spectateur, même si cette liberté déconcerte forcément, au point de vider les sièges du théâtre tout au long de cette première parisienne (à peine une heure quarante-cinq ; on a connu pire calvaire…). En tout cas, parions que ce n'est pas la partition, pour le moins caressante et feutrée, qui a fait fuir… hormis les aficionados de l'innovation.

I Went To The House But Did Not Enter se compose de trois tableaux évoquant chacun un texte que Goebbels souhaitait exploiter depuis des années – The Love Song of J. Alfred Prufrock de Thomas Stearns Eliot, La Folie du jour de Maurice Blanchot, Worstward Ho de Samuel Beckett, plus un intermède évoquant sommairement L'Excursion à la montagne de Franz Kafka. La rencontre avec le Hilliard Ensemble a été déterminante puisque les qualités de ce quatuor vocal – une émotion contenue durant les passages chantés ainsi qu'une excellente diction sublimant ceux qui sont parlés – ont permis d'explorer « un concept alternatif de l'individu et de l'absence, ainsi qu'une certaine forme de l'échec ».

Un long moment sans musique ouvre le spectacle, durant lequel les chanteurs rangent dans un carton, en les enveloppant de tissu, les éléments d'une pièce en camaïeu de gris (tasses, cadres, mannequin de couture, etc.). L'application ritualisée, accompagnée par des bruits événementiels (montre gousset, eau du vase, aspirateur glissant sur le tapis après le départ de la table), installe peu à peu un climat d'angoisse propre à accueillir les hôtels de passe d'Eliot, son brouillard jaune et sa suie de cheminée, portés par un chœur mélancolique. Pour faire écho à la symétrie du lieu, un autre carton est apporté sur scène : en sens inverse, et à quelques nuances près, on recrée la pièce à l'identique.

Les machinistes préparent à vue le décor suivant : la façade d'une maison de banlieue d'un étage, percée de fenêtres. Peu de chant ici – à part le poignant et éthéré Always the same light of day –, mais beaucoup de monologues évoquant le plaisir de la vie et le rejet du récit littéraire, de sons sur bande (aboiement d'un chien au passage d'un véhicule, tonalité d'un téléphone, tube latino) ou produits en direct (porte du garage qui grince, ordures tombant dans une benne, explosion chez un bricoleur). À l'inverse, l'ultime tableau sera entièrement chanté. Une projection de diapositives amène un peu de vie dans cette chambre d'hôtel hors d'âge au crépuscule, d'autant que la toute dernière vue (un bord de mer) s'anime lentement, avec un bruit de ressac.

LB