Chroniques

par bertrand bolognesi

I penitenti al sepolchro del redentore
oratorio ZWV 63 de Jan Dismas Zelenka

Collegium 1704 dirigé par Václav Luks
Festival de Sablé / Église de Meslay-du-Maine
- 26 août 2009
le jeune chef Václav Luks fait redécouvrir Zelenka au Festival de Sablé
© dr

Vous en souvenez-vous ?... Il y a trois ans, ici même, Anaclase s'entretenait avec Jean-Bernard Meunier, directeur artistique du Festival de Sablé, à propos du partenariat suivi dans lequel la manifestation sarthoise s’engageait depuis 2003, partenariat développé grâce à la complicité de l'Institut Français de Prague et visant à aider les équipes musicales tchèques à explorer le très riche répertoire baroque de leur pays, conservé dans ses précieuses bibliothèques. Les aider, cela voulait dire alors apporter sur place les moyens nécessaires à une approche optimisée des partitions, passant par la formation stylistique des instrumentistes, ce qui requérait l'intervention d'ensembles français dans le cadre d'échanges artistiques et souvent par l'élaboration ad hoc d'instruments anciens. Aussi entendions-nous, cette année-là, une Grande Messe à la Chapelle de l'Empereur Rudolph II (par Denis Raisin Dadre) et un concert de l'ensemble Musica Florea [lire notre chronique du 23 août 2006]. Cet échange passionnant et fructueux fut ponctué, dès les premiers pas, par la publication (chez Zig-Zag Territoires, collection Sablé) de CD aux programmes rares. Ainsi le mélomane put-il découvrir l'an dernier une Missa Votiva ZWV 18 de Jan Dismas Zelenka (1739), enregistrement réalisé dans ce cadre.

Après une soirée turque [lire notre chronique de la veille], nous retrouvons Zelenka, compositeur bohémien (né en 1679 à Louňovice) qui fit carrière à Dresde, grande capitale européenne de l'art dit aujourd'hui baroque, où il arrive vers 1710 et où il meurt en 1745. Musicien officiellement attaché au répertoire religieux, Zelenka bénéficia autant qu'il souffrit de l'aide vraisemblablement limitée (le « grand musicien » en poste était Heinichen) de son protecteur Auguste II Le Fort à la mort duquel (1733) la présence de son rival Hasse, musicien favori d'Auguste III, successeur au trône de Pologne dans la cité saxonne, circonscrira plus encore. Aussi parle-t-on souvent de Zelenka comme d'un artiste relégué, oublié, ce qui transparaît aisément dans ses dernières messes. Le nouveau souverain se grisant aux arie italiennes du célèbre Hambourgeois, il semble que Zelenka voulut prouver dès 1735 qu'il fût possible de satisfaire à cette mode tout en respectant sa manière propre et la profondeur de ses idées musicales, avec l'oratorio Gesù al Calvario. L'année suivante, il présente I penitenti al sepolchro del redentore que livrent ce soir Collegium 1704 et son chœur, sous la direction de Václav Luks.

Immédiatement happée par la complexité de facture qui régit la Sinfonia introductive, avec ses figures obstinées se superposant brièvement, ses fréquents revirements rythmiques, ses audaces chromatiques saisissantes, qui contrastent avec l’Andante fugato presque solennel, l'écoute ne démordra pas d'une exécution tant énergique que précise, dotée d'un vrai sens dramatique, qui souligne la bravura des parties chantées sans sacrifier à l'exactitude de textures instrumentales qu'on pourra dire tourmentées, sinon torturées.

Le trio vocal emporte les suffrages. L'on y retrouve le ténor Eric Stoklossa, ici décidément très belcantiste [lire nos chroniques du 20 août 2009 et du 16 juillet 2007], dans une forme éblouissante : clarté de timbre, précision de l'attaque et souplesse de l'émission servent idéalement la vaillance du rôle de David. Aussi Le tue corde, avec son armada de pizz' imitant la harpe (une harpe ainsi rendue infiniment sonore, charnue même) bénéficie-t-il de toutes ces qualités que l'artiste nuance avec le brio attendu. De même Tobias Berndt (Lucifer à Vézelay, même concert) campe-t-il un saint Pierre d'une grande fermeté dont on apprécie la saine homogénéité vocale sur l'ensemble de la tessiture ; sa réjouissante robustesse de timbre sert parfaitement l'air Lingua perfida. Enfin, la Marie-Madeleine de Mariana Rewerski (contralto) évolue dans une profondeur de couleur qui convainc, nuançant un chant peut-être moins serti dans une pâte vocale toujours généreuse dont elle canalise sagement la naturelle opulence. Sur le travail discrètement ouvragé de la dernière section d'orchestre s'exprime un chœur de chambre d'une indiscutable intelligibilité qui, en bis, offre un extrait des Répons du vendredi Saint dans un recueillement qui porte très haut la fin du concert.

Et parce qu'« un bonheur n'arrive jamais seul », sachez que l'enregistrement ce bel oratorio sera disponible dans les bacs dès demain (Zig-Zag Territoires, collection Sablé, ZZT 090803), qui plus est dans l'excellente distribution de cette soirée (captation au Château de Troja, Prague, en novembre 2008) !

BB