Chroniques

par laurent bergnach

Histoire du soldat
mélodrame d'Igor Stravinsky

Les Abbesses, Paris
- 21 septembre 2004
Histoire du soldat, mélodrame d'Igor Stravinsky
© marc vanappelghem

Dans son livre Souvenirs sur Igor Strawinsky, Charles-Ferdinand Ramuz relate la conversation qui servit de genèse à Histoire du Soldat : « pourquoi ne pas écrire ensemble une pièce qui puisse se passer d'une grande salle, d'un vaste public ; une pièce dont la musique, par exemple ne comporterait que peu d'instruments, et n'aurait que deux ou trois personnages ? […] nous aurions notre théâtre à nous, c'est-à-dire des décors à nous qui pourraient se monter sans peine dans n'importe quel local et même en plein air ; nous reprendrions la tradition des théâtres sur tréteaux, des théâtres ambulants, des théâtres de foire… »

Nous sommes au début de 1918. Le faste des Ballets Russes n'est plus qu'un souvenir, et la guerre ne veut pas finir. Le musicien en exil en Suisse et l'écrivain cherchent alors à s'investir dans un projet sans trop de frais. Jean Villard, Sacha Pitoëff et Ernest Ansermet aideront à la première représentation de septembre, dans Lausanne en proie à la grippe espagnole et aux désordres de l'armistice.

Comme un hommage à l'esprit de débrouillardise invoquée par les deux créateurs, on retrouve ici le rideau sur rail de tous les théâtres de fortune du monde, qui sert aux changements de décors (le plus souvent des plaques peintes) comme il permet également d'y projeter des ombres chinoises ou d'en extirper un peu de cette magie qui est au cœur du spectacle. Mais pour nous surprendre, Omar Porras ne s'en tient pas là : il possède également une machinerie de théâtre dont il serait bête de se priver par simple respect des conditions de la création. Il utilise donc les cintres pour faire voler son personnage principal, et les trappes de la scène pour de méphistophéliques apparitions ! En fosse, l'Ensemble Contrechamps et son chef Antoine Marguier l'accompagnent discrètement mais solidement, grâce à une partition de fanfare sublimée – que son auteur n'aurait jamais rêvé constellée d'autant de feux d'artifices…

On s'étonne à peine d'apprendre que celui qui joue ce Diable chahutant à un passé de marionnettiste dans le métro, qu'il a monté Ubu Roi. Le Soldat qu'il met en scène – Joan Mompart – a des raideurs de pantin, entre Pinocchio et C3-PO. Subalterne dressé à être docile (ce que nous rappelle bien la scène de parodie militaire où Satan le ridiculise), il est comme un gosse qu'on roule lors d'un échange dans la cour de récré. Il cesse alors d'être une caricature d'idiot de village, se met un peu à réfléchir et en devient attachant. Plus souple dans ses gestes, plus maître du jeu et de son destin, le Narrateur – Philippe Gouin – est un bateleur de foire qui commente cette pièce au style narratif, interroge le spectateur et conseille au besoin notre héros. Avec eux et les autres membres du Teatro Malandro, le metteur en scène colombien peuple cette œuvre – dont il doutait à priori de la théâtralité – de tendres bouffons, aux masques de commedia et aux vêtements poussiéreux sortis des greniers les mercredis de pluie (…et puisque je parle d'enfants, conseillons aux parents cette Histoire qui est, sans doute plus que celle de Babar, un conte moral...).

LB