Chroniques

par françois cavaillès

Henry Purcell par les Solistes du Concert d'Astrée
pièces de Dowland, Morley, Purcell et Ravenscroft

Festival de l'Abbaye de Saint-Michel en Thiérache
- 1er juillet 2018
Purcell par les Solistes du Concert d'Astrée, à Saint-Michel en Thiérache
© françois-xavier déssirier

De la petite abbatiale aux styles architecturaux disparates, la bonne acoustique offre d’emblée, au large public, un instant d'unité. Retrouvé le grand ciel bleu de campagne, remis à l'heure du plein soleil au zénith, le premier concert du dernier jour du Festival de l'Abbaye de Saint-Michel en Thiérache s'ouvre sous l'impression sereine d'un son acide, clair et ample, tiré d'une viole de gambe. Le sentiment, certainement doux et bien joli comme un petit enfant, est procuré par la musique d’Henry Purcell (1659-1695), et en particulier ce plaisir de jouer propre à l’Orphée britannique – expression reprise par les Solistes du Concert d'Astrée pour dénommer ce programme lyrique tout autour du probable plus grand compositeur anglais.

Arrangé pour un effectif de chambre, Entry Dance, tiré du semi-opéra The Fairy Queen (1692), introduit le cinquième dimanche du festival. Alors, entrez dans la danse ! Ou plutôt, restez là, à ne rien faire d'autre que suivre la ligne claire d'un archiluth, aux mains agiles de Mónica Pustilnik, et redécouvrir le grand talent du mezzo Anna Reinhold à créer, à partir d'une poésie séculaire, la scène très vivante et poignante d'un opéra rêvé. En l'occurrence, il s'agit de From rosy bow'rs, cantate aussi rare que tourmentée, également signée Purcell mais issue du semi-opéra The comical story of Don Quixote (1695).

Le lyrisme évident et le pouvoir de recréer par le chant répandent ensuite toute la passion renfermée, dans un dear kiss, par Sweeter than roses, air aussi composé par Purcell en l'année de sa mort, pour la tragédie lyrique Pausanias, the betrayer of his country. Plus profond encore, I attempt from love’s sickness to fly in vain (C'est en vain que je tente d'échapper à la maladie d'amour), extrait du semi-opéra The Indian Queen (1695), achève de proclamer l'excellence et la puissance du noble sentiment dans la musique ancienne, régnant ici en maître.

Un magnifique solo, tellurique, vital mais aussi câlin, de la violiste Luciana Elizondo, une mélodie populaire rieuse et shakespearienne de Thomas Morley (It was a lover and his lass, dans As you like it, comédie de 1599) et encore le délectable poison du désespoir (The silver swan, célèbre madrigal d'Orlando Gibbons, 1612) – et si maintenant tout cela ne me tue pas bientôt de désamour... que coulent mes larmes ! Flow my tears, immense succès de John Dowland (1563–1626), est hissé haut par les délicats instrumentistes qui en font des merveilles au delà des mots pourtant surpuissants, pour finir dans un triste sourire :

From the highest spire of contentment
My fortune is thrown
(Du plus haut sommet du contentement
Ma fortune fut jetée bas).

Du pire coq-à-l'âne se glisse alors une rengaine crétine (The marriage of the frogge and the mouse de Thomas Ravenscroft) – heureusement, l’on replonge vite dans Purcell... Après un autre bijou de The Fairy-Queen, ce rondeau superbe d'équilibre, où domine encore la viole de gambe, presque étourdissante de calme, viennent les béatitudes du superbe Music for a while (Oedipus : a tragedy, publié en 1679) et de l'impératif If music be the food of love, moments de grâce entre les musiciens argentins, incluant le luthiste Quito Gato et la voix saisissante d'Anna Reinhold [lire nos chroniques du 9 juillet 2013, du 6 mars 2016 et du 20 juin 2017].

Le timbre merveilleux ferait vibrer les pierres, à chanter de manière si inspirée le grand voyage dans la rêverie de The Indian Queen (They tell us that you mighty powers above). Et pour la suivre dans les méandres fous d’Here the deities approve (d'une Ode for St. Cecilia's day, 1683), que ne faudrait-il pas faire ! Mettre sa montre en gage pour le fameux Lament conclusif de Dido and Æneas (1689), funèbre à souhait, ou bien vendre ses bagues pour le joyeux Fairest Isle, final de King Arthur (1691) ? Peu importe qui se réveillera sans plus un jeton, ce sera aux anges (ou peut-être à peine déçu par le bis pop sirupeux, Goodnight my angel de Billy Joel). Pour les délices du baroque, on peut tout miser à l'Abbaye de Saint-Michel en Thiérache.

FC