Chroniques

par françois cavaillès

Heather Newhouse chante Johann Sebastian Bach
ouverture et concertos par l’Ensemble Ausonia

Festival de l’Abbaye de Saint-Michel en Thiérache
- 9 juin 2019
Bach par l'Ensemble Ausonia et le soprano Heather Newhouse
© géraldine beys

Avec la belle saison s’ouvre le grand bal des festivals, dans un coin de paradis de la Thiérache, en l’Abbaye de Saint-Michel, à nouveau remplie de musique délicieuse aux dimanches de juin. Parmi les nombreux concerts (jusqu’à trois par jour !) de cette trente-troisième édition de ce rendez-vous annuel, un programme Bach a été commandé à Ausonia, ensemble rompu aux charmes du divin Cantor. Point par point, la démonstration est très belle, allant crescendo jusqu’à l’extase.

Commencer par le pur agrément instrumental dans ses grandes largeurs, ma foi... pourquoi pas, oui. Dans les Concertos brandebourgeois de 1721, on demande le cinquième. Fermement attaqué, l’Allegro introductif laisse surgir du ciel la mélodie libre et étourdissante, à fredonner sans compter, et le Zaubervioline de Mira Glodeanu, au son riche et profond, puis le clavecin qui crépite, la flûte douce et consistante, de plus en plus séduisante... Les délices de l’instrumentation agissent sous l’effet de tornade de ce premier mouvement, mais aussi par subtils dégradés, sans courir ni discourir. Des impressions de mélancolie rieuse, de vive nostalgie et de sage exubérance enfin, grâce au très virtuose clavecin de Frédérick Haas, directeur de l’ensemble, dans la longue cadence finale : suivre les harmonies de Bach comme un courant souterrain procure bien tout cela.

Par d’heureux détours, la musique se fait sacrée, toujours pleinement et simplement vivante pour l’air Was die Welt in sich hält, extrait de la Cantate BWV 64, Sehet, welch eine Liebe hat uns der Vater erzeiget (1723). De ce Lied enchanté – quelle superbe entame signe le violon ! –, les paroles tourmentées trouvent savante fraîcheur et solennelle légèreté dans le soprano d’Heather Newhouse. Puis, de la Suite en si mineur BWV 1067 n°2 (1739), l’Ouverture bénéficie de la maîtrise d’Ausonia, aguerri et généreux dans les échanges, pour signifier la délivrance, à partir de la petite fugue, et le bain en haute mer musicale et spirituelle. Le Rondeau met encore en exergue le traverso chantant, après la danse, de Georges Barthel, ainsi que la finesse du violoncelle tenu par Jérôme Vidaller.

Ces deux instruments fondent un magnifique atrium aux subtiles couleurs à l’amorce de l’air Bete aber auch dabei de la Cantate BWV 115, Mache dich, mein Geist, bereit (1724). La prière s’élève, porté par le soprano gourmand, au timbre exact, au bord de l’agonie pour la pénitence, presque résignée pour implorer. Le tableau en serait clinique, romantique ? Très allemand, en tout cas, et fort ovationné. Le sentiment de perte est prolongé par la grâce du Larghetto du Concerto pour clavecin en la majeur BWV 1055 (1738) qui passe tel un mirage, une ombre de feu. La veine liturgique est approfondie avec Ich wünschte mir den Tod, den Tod de la Cantate BWV 57, Selig ist der Mann (1725). Le rude climat est bien rendu, un instant comme un coup d’œil – Augenblick possède les deux sens –, avec l’Andante de l’Offrande musicale BWV 1079 (1747). Ensuite, à travers l’albâtre propre des églises et les secrets de cour, perce enfin le génie.

Extrêmement lyrique et expressif, Wer ein wahrer Christ will heißen de la Cantate BWV 47, Wer sich selbst erhöhet, der soll erniedriget werden (1726) avance sur un étrange trépied, tout de vivacité et de bonté, magnifié, par le violoncelle, le soprano et l’orgue. Pétillante, étoilée, la musique clame : « Hoffart ist dem Teufel gleich » (La superbe est pareille au démon). Ainsi Ausonia se montre-t-il diabolique pour finir dans un pur ravissement par le Concerto pour violon en la mineur BWV 1041 (1723). Dès les premiers accords, pleins d’esprit, la sérénité de tout l’ensemble infuse l’Andante, conclu par les arabesques surnaturelles du violon solo. L’Allegro assai tient du fantastique alliage de tonus et de virtuosité. Et ainsi s’achève le programme. Deux siècles à vivre sans Bach, deux heures de concert avec lui : autant pour emporter les âmes au loin du lointain.

FC