Chroniques

par marc develey

Gustav Mahler et Franz Schubert
Michaela Kaune, Bayerisches Staatsorchester, Kent Nagano

Théâtre des Champs-Élysées, Paris
- 26 septembre 2006
au Théâtre des Champs-Élysées, Kent Nagano joue Schubert et Mahler
© dr

C’est à une soirée viennoise que nous convie Kent Nagano à la tête de son Bayerisches Staatsorchester – une soirée Mahler, introduite par l’Ouverture de Rosamunde D.644 de Franz Schubert. Le velouté d’une pâte sonore souple annonce déjà la bichromie subtile de la direction. Dans l’Andante initial, on peut ainsi entendre l’orchestre oser un jeu de contraste rappelant à la fois le tout premier romantisme mozartien et le badinage savant des derniers romantiques. L’Allegro vivace, étourdissement primesautier, ne propose rien d’aussi dense : ivresse légère, vite passée, tout aussi vite oubliée : juste le temps de faire un sort aux faux départs causés, peut-être, par une battue bien discrète.

Quatre Lieder extraits du cycle Des Knaben Wunderhorn de Gustav Mahler fournissent à cette première partie un plus intéressant contrepoint. Si la discrétion un peu falote de la formation bavaroise, souvent honnête, parfois plate, sirupeuse sur Rheinlegendchen, ne peut servir ces partitions à leur juste valeur, la diction claire de Michaela Kaune vient pourtant leur apporter un air d’enfance, quelque chose de comptines fredonnées d’un sérieux sans prétention. Le timbre, un peu contraint dans les commencements ou parfois dans les traits narratifs portés par le registre médian (Rheinlegendchen, à nouveau), s’épanouit avec grâce à mesure que la voix trouve son espace. Quelques belles rencontres avec les instrumentistes – ainsi de son installation pianissimo dans les sonneries de Wo die schönen Trumpetten blasen – ne rehaussent pour autant pas la qualité décevante de l’ensemble.

Bien plus convaincante s’avère la Symphonie en sol majeur n°4.
Fluide, le premier mouvement déploie le frottement des plans sonores les uns sur les autres, en un jeu qui doit sa forme tout autant à la danse qu’à la pièce dialoguée. Non sans humour, et avec grâce, le kitsch mahlérien y trouve son compte : ritenuti languides, préciosité dramatique et agressivité des accents s’y donnent en contraste à un lyrisme joliment maîtrisé – nous songeons par exemple au quasi-lied donné par les flûtes en gammes pentatoniques sur le flottement expressif des violons.

Le mouvement suivant (In gemächtlicher Bewegung) souligne de plus belle la charge ironique du premier. Les accents, toujours fortement marqués, et le violon solo désaccordé lui insufflent un climat grinçant, grimaçant à l’occasion : très liée, la pâte des cordes en sourdines tisse comme une guimauve sur les crissements de sable du tissu sonore émergent – très belle mise en œuvre de la palette à deux tons évoquée au début de cette chronique. L’ensemble reste frappé d’un humour auquel ne résister pas le faux-sérieux des thèmes, dont l’interprétation rétrospectivement anticipative révèle une autodérision en forme d’annonce de plus radicales déconstructions, viennoises elles aussi.

Le contraste des deux mouvements suivants n’en est que plus saisissant.
Le troisième, Ruhevoll, déploie ses nappes étales, depuis l’ouverture sur le tuilage mélodique des cordes – qu’un son plus nettement tiré porterait vers une expressivité contraire au calme retrouvé, désiré par l’interprétation – jusqu’à ce sublime pianissimo presque final où il s’impose comme une évidence à n’entraîner ni repousser l’écoute vers aucun ailleurs. Regretterait-on encore quelques défauts dans les départs (sur le fortissimo final, en particulier), l’absence de toute préciosité accentuelle, la souplesse du hautbois solo, la clarté du Trio, la profondeur des tutti dans les ritenuti, la belle réserve de son sur laquelle s’appuient les crescendi et, pour tout dire, l’honnêteté du travail d’ensemble font ici miracle.

Sehr behaglich, enfin, fait réentendre le beau timbre de Michaela Kaune – la voix, toujours un peu serrée aux premières mesures, se colore rapidement d’une clarté pleine de moelleux. L’orchestre bavarois, bien plus convainquant que dans les Lieder, donne à cette vie céleste un élégant soutien. Une strophe finale enchanteresse – Kein Musik ist ja nicht auf Erden… (Il n’y a sur terre aucune musique à la nôtre comparable) – referme et la symphonie et ce beau moment.

MD