Chroniques

par bertrand bolognesi

Gurrelieder par Michael Gielen
SWR Sinfonieorchester Baden-Baden und Freiburg

Musica / Palais de la musique et des congrès, Strasbourg
- 17 septembre 2006
© dr

Dans le cadre d’une édition qui s’interroge sur les filiations, telle que nous la décrivions dans notre précédent article [lire notre chronique du 16 septembre], quoi de plus naturel que de programmer les Gurrelieder ? À vingt-six ans, Arnold Schönberg se penche sur les vers du Danois Jens Peter Jacobsen dont le romantisme tardif l’inspire deux ans avant de se laisser gagner par le symbolisme de Maeterlinck. Dans la même période, il compose les huit Brettllieder qui annoncent déjà le Pierrot lunaire de 1912. Mais il faudra au musicien plus de dix ans pour achever son projet, de sorte qu’à leur création – en février 1913, à Vienne, sous la direction de Franz Schreker –, les Gurrelieder ne semblent pas, de prime abord, témoigner de l’évolution de son langage. Pourtant, à le regarder de plus près, si l’on y entend immanquablement l’empreinte wagnérienne – Lohengrin dans une certaine phrase de violoncelle, Tannhäuser dans une sonnerie de cuivres, Tristan dans quelques traits isolés de bois, etc. –, ce grand cycle, contemporain de la très proche seconde partie de la Huitièmede Mahler qui en concurrence le gigantisme, laisse percevoir le Schönberg lyrique de Verklärte Nacht mais aussi les opus des dernières années.

Dès le Prélude, la précision de l’énoncé s’empare d’une écoute qui restera formidablement concentrée deux heures durant. Au pupitre, Michael Gielen impose d’abord une conception architecturée, un rien mise en distance, laissant un lyrisme expressif gagner les cordes du SWR Sinfonieorchester Baden-Baden und Freiburg dans une suave fluidité qui ne déroge pas à la grande fermeté de son approche. C’est en peintre qu’il dévoile peu à peu l’histoire de Waldemar, dosant savamment les effets en restituant fidèlement chaque détail de l’orchestration. À cette question de la nécessité d’une direction identifiant diverses trames que Schönberg s’est lui-même posée (Le style et l’idée), son interprétation répond qu’une restitution riche et fiable ne nuit pas au dessin d’ensemble. Les passages plus chambristes sont naturellement l’objet d’un soin minutieux, tout comme les tutti les plus violents dont les grandes lignes ne masquent jamais la délicatesse de l’écriture. Dans la troisième partie, Gielen n’hésite pas à s’engager vers une rhétorique presqu'opératique, soulignant le drame de Waldemar et le retour à la paix.

Outre l’excellence de la prestation des choristes du MDR Rundfunkchor Leipzig et du Chor des Bayerischen Rundfunks, la partie vocale convoque six voix parmi lesquelles on aura remarqué le timbre corsé et la ferme articulation de Ralf Lukas (Bauer) ainsi que le phrasé bien conduit de Melanie Diener (Tove) à laquelle on reprochera cependant un haut-médium parfois instable. Saluons la Waldtaube d’Yvonne Naef au chant tant souple que généreusement coloré et le Waldemar de Robert Dean Smith, un rôle écrasant à l’écriture tendue que le ténor américain assume honorablement.

BB