Chroniques

par laurent bergnach

Glossopoeia
spectacle multimédia d’Alberto Posadas

Festival d'Automne à Paris / Centre Pompidou
- 18 décembre 2009
Glossopoeia, spectacle multimédia d’Alberto Posadas
© artefactory lab

« Abandonner le rationalisme au profit de l'imprévu, du non programmé », écrit Nicolas Darbon dans Les Musiques du chaos, en référence au manifeste fractaliste [lire notre critique de l’ouvrage]. Depuis plusieurs semaines, le personnel du Centre Pompidou est en grève – dénonçant la réduction annoncée des emplois (en raison du non-remplacement d'un départ à la retraite sur deux dans la fonction publique) comme la stagnation de la subvention de l'État dans les années à venir – et c'est de justesse que la dernière des trois représentations prévues de Glossopoeia peut rencontrer le public. Ce spectacle multimédia, dont le titre en grec ancien signifiecréation d'un langage, s'intéresse à cette notion et à des idées proches, souhaitant transposer en sons ainsi qu'en gestes des procédés formels du domaine de la linguistique.

Élève de Francisco Guerrero (parfois nommé le Xenakis espagnol), Alberto Posadas (né en 1967) a exploré très tôt de nouvelles formes musicales grâce à l'utilisation de techniques telles que la combinatoire mathématique (étude des combinaisons d'ensembles finis, des configurations, des dénombrements) ou la théorie fractale (une fractale étant une forme infiniment imbriquée dans elle-même dont certaines parties sont semblables au tout). De Scènes noires créé en milieu d'année [lire notre chronique du 19 juin 2009], nous gardions le souvenir d'une hypnose musicale quand ici les quatre solistes – Odile Auboin (alto), Alain Billard (clarinette basse), Eric-Maria Couturier (violoncelle) et Samuel Favre (percussion) – délivrent une composition extrêmement tendue, voire étouffante de densité magmatique.

Avec le chorégraphe Richard Siegal, Posadas explore une nouvelle fois les possibilités d'interaction qu'il affectionne, puisque le corps des trois danseuses – Raphaëlle Delaunay, Julie Guibert, Asha Thomas, en robe argentée et chaussettes blanches – est muni de capteurs qui modifient la partition tout en conservant ses principales caractéristiques. À l'image d'un sémaphore qui fait signe, le bras en balancier d'une danseuse invite régulièrement les autres à la rejoindre et, à part de courts solos au cœur de la pièce, il est rare que le trio se disjoigne. Gestes accompagnés par autrui, corps assis sur un troisième à quatre pattes ou marches dos à dos, les exemples ne manquent pas de cette symbiose presque vitale où l'on prend conscience de soi-même.

L'écran translucide séparant les musiciens des danseuses – frappé d'abord par ces dernières pour changer l'éclairage de la scène – sert bientôt à la projection d'une vidéo de Yann Philippe. Celle-ci se réfère explicitement au système de Lindenmayer bien connu de Posadas, du nom du biologiste hongrois qui souhaitait, à la fin des années soixante, un langage formel permettant de décrire le développement d'organismes multicellulaires simples. Ce qui nous semble une arborescence de corail devenant cartilage puis réseau artériel, une grappe d'œufs de batracien, sert de décors aux solos évoqués plus haut, images numériques superbes qui font malheureusement de l'ombre à l'être de chair et de sang qui suffit bien.

LB