Chroniques

par laurent bergnach

Glossolalia
spectacle du collectif WARN!NG

Grand auditorium / Collège des Bernardins, Paris
- 1er juin 2017
Le collectif WARN!NG présente une ébauche de son spectacle Glossolalia
© meng phu

Il y a quelques jours, le collectif WARN!NG marquait cette fin de saison avec Insanæ Navis, un spectacle conçu autour de l’image médiévale de la nef des fous [lire notre chronique du 18 mai 2017]. Nous étions alors informés que, depuis 2011, ce rassemblement d’artistes variés défendait l’art vivant avec des personnalités et des créations hors normes. Profitant d’une résidence au Collège des Bernardins et de son cycle Jeunes Talents qui promeut l’audace, il présente l’ébauche d’un nouveau projet en cours : Glossolalia.

Poétique lorsque la conscience entre en jeu, pathologique quand le sujet ne contrôle plus (spiritisme, psychiatrie), la glossolalie est le fait de s’exprimer dans une langue incompréhensible. Comme la folie était le fil rouge à Vanves, questionner le langage est celui d’aujourd’hui : « le langage musical dans ses formes improvisées et écrites, mais aussi celui des mots, par l’exploration de la part musicale de la langue, à travers le souffle, la voix, le rythme, le corps, tout ce que la parole rationnelle tend à estomper ».

Paradoxalement, une danseuse tient un rôle central. Sylvie Cavé entre en scène après que la plupart des neuf musiciens, vêtus de noir et pieds nus, ont marqué leur visage de traits de peinture sombre, à tour de rôle, face au public. Près de la table du cérémonial d’ouverture, elle se contorsionne souplement, reptilienne. La musique électronique (distorsions douces, frottements, etc.) laisse place à une tentative de parole de l’artiste, émouvante et drôle (sussions, hoquets, caquètements au milieu desquels un JE unique explose). Apparaît l’ombre d’un hautboïste (Sylvain Devaux) qui la taquine derrière un large écran blanc les séparant ; elle répond par des tapotements de doigts sur le papier tendu. Plus tard, on la retrouve lors d’un « trio » angoissé avec le compositeur-saxophoniste Vincent Lê Quang et le contrebassiste Frédéric Stochl, ce dernier venu de la salle avec force bruits de gorge (crachouillis, déglutitions, gargarismes).

Musicalement et scéniquement, le spectacle s’avère moins inventif qu’Insanæ Navis, mais rappelons qu’il s’agit d’une étape du travail mis en scène par Or Katz. Par sa pauvreté, un passage ennuie particulièrement : celui où Vincent Lê Quang dirige ses confrères, auxquels la danseuse vient retirer leurs instruments. En revanche, on apprécie le duo presque intemporel des violoncelles (Myrtille Hetzel, Anaïs Moreau), mariant pizz’ et harmoniques, qui se fond vite dans l’énergie mi-ronflante mi-tendre d’un quatuor avec guitare (Rémy Reber) et ondes Martenot (Nathalie Forget). On aime aussi la procession des saxhorn et saxophone (Vianney Desplantes, Carmen Lefrançois), dont le barrissement retentit depuis le fond de la salle jusqu’à l’avant-scène. Ce n’est pas forcément séduisant ou aimable, mais cet épisode prépare à l’écoute d’une logorrhée féminine plus ou moins habitée d’émotions, prière probable à l’étrange totem qui s’est dressé sur scène.

LB