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Chroniques
Gli Incogniti, Amandine Beyer
Le Caravansérail, Bertrand Cuiller
Trois semaines après notre week-end Voix nouvelles, nous revenons à Royaumont pour un festin de concerti, aux confins du baroque et du Sturm und Drang. Prenant place dans le Réfectoire des moines, Amandine Beyer et son ensemble Gli Incogniti invitent à un après-midi musical tel qu'il pouvait s'en donner au salon du Baron van Swieten, mécène aristocrate du siècle des Lumières, aussi curieux de ses contemporains qu'amateur et connaisseur de la génération précédente (Bach, Händel, etc.).
Le programme s'ouvre avec le Concerto pour fortepiano en sol majeur Hob. XVIII:9, longtemps attribué à Joseph Haydn – et pour cause : l’on y reconnaît une parenté certaine avec la manière du compositeur autrichien au début de sa carrière, en particulier dans l'Adagio fort développé, encadré par la vivacité d'un Allegretto et d'un Tempo di minuetto, et dont Alexeï Lioubimov éclaire la délicatesse élégiaque, rehaussée par une sonorité de bois clair. Tirée du cycle de sinfonie commandé par van Swieten à Carl Philipp Emanuel Bach, la Sinfonia en si mineur H.661 V révèle une facture originale, magnifiée par la présente lecture. Nerveuses, les attaques ne cassent jamais l'intégrité de la ligne. Le grain des archets soutient les contrastes de l'Allegretto, avant une anastomose vers un Larghetto suspendu. Le Presto final rassemble les fougues de l'ensemble des pupitres, synthétisant la rhétorique galante et l'inquiétude préromantique du sentiment, dans un frémissement d'effets intelligemment maîtrisé. Amandine Beyer confirme sa justesse d'instinct et son sens équilibré de l'expressivité au fil des trois mouvements (Allegro moderato, Adagio et Presto) du Concerto pour violon en ut majeur Hob.VIIa:1 d’Haydn.
Disparu l'année de la prise de la Bastille, François-Xavier Richter, natif de Moravie et maître de chapelle à Strasbourg, offre un autre éclairage sur cette transition entre baroque et préromantisme que fut l'École de Mannheim. Tandis que l'opus du fils Bach accentuait les aspérités expressives, la Sinfonia en si bémol majeur I, première d'un cycle de Six grandes symphonies publié à Paris en 1744, affirme une élégance mélodique à peine nimbée de modulations en demi-teintes, qui évite la facilité du consensuel et de l'insipide, depuis la vitalité de l'Allegro assai jusqu'à l'énergie du Presto, en passant par le chant de l'Andante. Le Concerto pour violon et fortepiano en fa majeur Hob. XVIII:6 d’Haydn referme l'après-midi sur une invention magnifiée par un jeu fluide et savoureux. La versatilité des affects affleure dans l'Allego moderato, comme dans le songeur Largo, quand le Presto, annonçant vaguement le Menuet d’Eine kleine Nachtmusik de Mozart, respire une fraîcheur souriante, rehaussée par la saine clarté des timbres.
En soirée, c'est un autre projet soutenu par Royaumont qu’entendent les mélomanes : l'intégralité des Brandebourgeois par Bertrand Cuiller et Le Caravansérail. Sans expliciter au delà des notes et des œuvres l'ordre de présentation des six concerti, les pupitres font retentir une évidente concentration dans le jeu qui ne s'attarde pas sur des propositions iconoclastes. En première partie, c'est une déclinaison du concerto grosso – du BWV 1049 (en sol majeur)au BWV 1050 (ré majeur) en passant par le BWV 1047 (fa majeur) – que le sens des textures fait ressortir, où les interventions solistes ne cessent de rejoindre la pâte des couleurs tutti. Après l'entracte, les sonorités chasseresses ma non troppo du BWV 1046 (fa majeur), aux allures de suite française, cèdent ensuite au BWV 1051 (si bémol majeur) et, enfin, à la patine concertante par trois du BWV 1048 (sol majeur).
GC