Chroniques

par emmanuel andrieu

Giuseppe Verdi | Messa da Requiem
Bruno Aprea dirige Orchestre et Chœur de l'Opéra de Toulon Provence-Méditerranée

Opéra de Toulon Provence-Méditerranée
- 16 mai 2010
Giuseppe Verdi, à la fin de sa vie, dont l'Opéra de Toulon joue le Requiem
© dr

Le 22 mai 1874, un an jour pour jour après la disparition du poète Manzoni à qui l'œuvre est dédiée, le Requiem de Giuseppe Verdi résonnait sous les voûtes de la Basilique San Marco où il fût créé sous la direction du compositeur lui-même. Cette première fut un choc pour les oreilles de l'époque, tant inédites étaient l'audace rythmique et l'imagination romantique convoquées dans cette page monumentale. Bien qu'empreinte de doux moments de solennelle félicité et d'espoir transi, c'est surtout pour ses moments de déchirements telluriques et d'ébranlements célestes que la partition est connue – et son retour, à plusieurs reprises, du fameux Dies iræ. Les airs poignants des quatre solistes convoqués dans cette Messa da Requiem, le caractère démentiel et spectaculaire des chœurs mêlé à des phrases chantées, elles, pianissimo, enfin des climats mélodiques passant du clair à l'obscur font de cette œuvre une des créations musicales les plus enthousiasmantes du répertoire sacré. Tout y respire la tragédie, la douleur, la peur, les cris, la mort.

Le plateau vocal réuni par l'Opéra de Toulon procure une immense satisfaction aux nombreux spectateurs qui, lors des saluts, lui feront un véritable triomphe, une fois les derniers accords joués (plutôt murmurés, en l'occurrence).

De l'excellent quatuor de solistes, l'on retiendra le nom du jeune ténor espagnol Antonio Gandia, artiste magnifique qui possède tout : voix puissante, timbre de toute beauté, aigus solaires, musicalité de tous les instants. Son Ingemisco fait passer le frisson en rendant palpable l'espoir angoissé du pécheur, dans des mezza voce et des retenues de phrasé absolument prodigieux. La basse italienne Marco Vinco (neveu d'une autre célèbre basse italienne, Ivo Vinco) atteint l'excellence avec, en sa faveur, un timbre somptueux, une ligne de chant superbe et une noblesse dans l'accent et l'émission. Que ce soit dans le Confutatis solo ou dans les ensembles, c'est vers lui que se tournent les oreilles, tant il rayonne de sa personne et de son chant quelque chose qui happe, qui retient et bouleverse.

Le mezzo Elisabetta Fiorillo fait valoir une voix ferme et chaleureuse, aux graves splendides, et un grand art des nuances – ce qui mérite d'être relevé dans une tessiture qui en manque souvent. Avec sa consœur Hasmik Papian, elle livre des duos fort équilibrés qui s'unissent bien dans le Recordare, pétri d'émotion, et retrouvent la même alchimie dans l'Agnus Dei. Les choses se gâtent pourtant dans le Libera me final, dévolu au soprano arménien qui s'y empêtre et s'y fourvoie. Donnant jusque-là une interprétation raffinée et émouvante, de ce timbre immédiatement reconnaissable, Papian se réfugie dès lors dans un forte continu du plus mauvais effet ; elle déstabilise la ligne de chant et termine son air non sur un si bémol pianissimo comme écrit et attendu, maisfortissimo qui s'apparente plus au cri.

L'Orchestre de l'Opéra de Toulon Provence-Méditerranée est remarquablement tenu par l’Italien Bruno Aprea. Les sonorités sont riches, nuancées, hargneuses quand il le faut, et savent également se faire douces et recueillies. Ainsi des premières notes emmenées avec beaucoup de musicalité, ou de l'intervention des trompettes avant Tuba mirum, savamment préparée. S'il fait preuve de fulgurances, la spiritualité qui traverse l'œuvre est parfaitement rendue.

Le Chœur ne démérite en rien. À une discipline impeccable s’ajoute l'émotion nécessaire. Le second bémol de cette matinée est qu'il aurait gagné à s’étoffer plus pour un rendu plus dramatique encore. Il ne compte, en effet, qu'une cinquantaine d'artistes, alors que c'est bien avec plus du double que l'œuvre fut créé et qu'on la donne généralement.

EA