Chroniques

par david verdier

Gianandrea Noseda dirige le Chœur et l’Orchestre du Teatro Regio
Tosca, opéra de Giacomo Puccini (version de concert)

Théâtre des Champs-Élysées, Paris
- 24 janvier 2012
le chef d'orchestre italien Gianandrea Noseda
© fondazione teatro regio di torino

De retour sur cette même scène parisienne après les mémorables Vêpres Siciliennes du printemps dernier, Gianandrea Noseda joue une Tosca en version de concert à la tête de l'Orchestre et du Chœur du Teatro Regio de Turin. Sous sa direction, la formation déploie un son dru, avec une maîtrise quasi-obsessionnelle du détail. L'acoustique naturelle du lieu lui confère des couleurs assez mates, contrebalancées par la vigueur de projection de certaines phrases dans l'introduction. Fort heureusement, les chanteurs pallient l'absence de mise en scène par un jeu, certes un peu convenu, mais qui a le bon goût de ne pas chercher à la compenser à tout prix.

L'entame de l'opéra est tendue à se rompre, tension entretenue par la direction de Noseda d'un bout à l'autre du premier acte. Les chanteurs semblent sous le contrôle de cette baguette implacable, déclenchant leurs interventions avec une violence presque épidermique qui laisse peu de place à la fantaisie (tant pis, effectivement, si la scène du sacristain est expédiée sans atermoiement). L'Angelotti de Francesco Palmieri ne décolle pas au delà d'une émission caverneuse et empesée. Par contraste, la prestation de Riccardo Massi campe un Cavaradossi empoignant son destin avec un enthousiasme démesuré. Faute d'un médium lumineux, il se concentre sur la puissance naturelle de la projection, quitte à ce que la voix reste engoncée et en deçà du rayonnement spontané qu'on serait en droit d'attendre.

En Tosca, Svetla Vassileva soutient le défi physique imposé par son amoureux de ténor. Même si la voix bouge dangereusement et si les montées vers l'aigu « dévissent » à plusieurs reprises, elle négocie à temps les changements de registres tout en conservant la pleine puissance et l'expressivité du son. Le Scarpia de Lado Ataneli ne semble pas avoir trempé longtemps dans la noirceur et le péché. Il sait intelligemment adapter ses moyens techniques à l'expression distanciée du Mal absolu qu'il est censé incarner.

L'arrivée au Palais Farnese à l'Acte II n'offre pas de répit au tissu orchestral très sombre et quasi-contondant. On relèvera sans déplaisir la griffe puccinienne consistant à faire se croiser simultanément des atmosphères fort différentes pour amplifier les contrastes narratifs et sentimentaux (comme, par exemple, les chœurs de San'Andrea della Valle par-dessus la scène de l'interrogatoire). Cœur émotionnel et structurant de cet acte médian, Vissi d'arte est attaqué sotto voce par Vassileva – il est vrai, sous la pression tangible d'un Noseda littéralement accroupi pour marquer le pianissimo ! L'orchestre suit la courbe imposée dans l'accompagnement en laissant beaucoup de naturel au passage.

Dans le dernier acte, le chef retient encore davantage, comme pour mieux surligner le caractère dramatique de l'action. Le modeste berger d'Esther Zaglia ferait un bien meilleur effet en petit Yniold, c'est dommage… d'autant plus que le violoncelle solo choisit ce moment pour déployer une vilaine palette de portamenti d'assez mauvais goût, entraînant à sa suite le pupitre tout entier. La montée dramatique du final est parfaitement réussie, Vassileva et Massi font oublier les règles conventionnelles de la version de concert tandis que la battue de fer de Gianandrea Noseda trouve – enfin – une justification dans une dimension désespérée qui emporte l'adhésion.

DV