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Chroniques
Giacomo Puccini | Madama Butterfly (opéra en version de concert)
Mikko Franck dirige l'Orchestre Philharmonique de Radio France
De mémoire de grand styliste voyageur, la plus belle Cio-Cio-San portait, paraît-il, au Met’ de New York au début des années quatre-vingt, les costumes de Kenzo Takada, l'immense créateur franco-japonais à la griffe et aux boutiques si bien connues. Or, voici qu'avec trois différentes représentations avant le printemps (Paris, Toulon et Limoges) du sixième opéra de Puccini (mais aussi le sixième au classement, tous compositeurs confondus, des plus donnés à travers le monde), la France est regagnée par le japonisme. Madama Butterfly trouve toute sa place dans ce mouvement du XXe siècle naissant, au temps où, par exemple, la danseuse et actrice Sada Yacco, consultée par le Toscan en vue de la création à la Scala de Milan, fut immortalisée en Montmartroise par le peintre parisien Van Dongen.
Le Théâtre des Champs-Élysées affiche complet pour la reprise d'une production applaudie l’été dernier aux Chorégies d'Orange. Mais il s'agit ce soir d'une version de concert, où l'univers nippon se laisse difficilement deviner. Dès le motif liminaire à la grave résonance, l'Orchestre Philharmonique de Radio France paraît lancé à vitesse folle par son chef Mikko Franck, dans une performance plus écrasante qu'émouvante. Dans ce chef-d’œuvre de la maturité du compositeur, la fondamentale douceur du traitement du sujet, si lointain, même marqué par la violence du choc culturel, est plutôt l'apanage du Chœur de Radio France, dirigé par Alfonso Caiani, ainsi dans le si spirituel intermezzo séparant les deuxième et troisième actes.
Privés d'espace de jeu, les chanteurs semblent en général gesticuler de la voix, comme le drame semble très éclaté et précipité. Sans une claire logique spatio-temporelle, le torride duo en fin du premier acte, par exemple, fait naufrage sur des récifs vocaux. Le soprano vedette Ermonela Jaho soigne pourtant une émission prodigieuse et se plie aux rigueurs du rôle-titre ancré à Nagasaki, prisonnière entre la tension de l'attente et le fatalisme du désespoir presque total. Mieux encore, le contralto Marie-Nicole Lemieux accomplit un travail d'orfèvre par son interprétation de la domestique émue, Suzuki. Autant que la qualité irréprochable du chant, le grand soin apporté à la cohérence et à la vitalité du personnage est vraiment admirable. Côté messieurs, outre une solide carrure, le Pinkerton du ténor Bryan Hymel trouve enfin le bon élan, tourmenté, digne et juste, au III, tout comme le Sharpless du baryton Marc Barrard dans l'expression d'une sagesse heureuse.
En dépit de lourdeurs démonstratives, à vouloir jouer à outrance la prétendue tragédie japonaise sans jamais vraiment en retrouver l'inspiration théâtrale cruelle, mais encore dans l'art puccinien du vague à l'âme puissant et précis, ainsi passe le soir, léger comme le papillon de nuit (sorti de sa chrysalide Kenzo).
FC