Chroniques

par bertrand bolognesi

Giacomo Carissimi par Il canto di Orfeo
Marc-Antoine Charpentier par Correspondances

Abbaye de Royaumont
- 1er septembre 2012
Gianluca Capuano et Il canto di Orfeo jouent Carissimi à l'Abbaye de Royaumont
© agathe poupeney

Avec la fin de l’été s’ouvre la saison musicale de Royaumont qui, au fil de huit week-ends, explorera tant la création contemporaine que le domaine ancien, voire la danse, les projets multimédia et le jazz, sans oublier sa polarisation sur la voix, comprise dans la rhétorique baroque ou dans la pratique du Lied. Vaste programme, donc, qui accueille un public diversifié depuis le « déplacement chorégraphique » Une plage à Royaumont présenté par Catherine Contour (25 août), jusqu’à la recréation du Miserere de Hasse par Geoffroy Jourdain et Les Cris de Paris (14 octobre).

Ce samedi affiche De l’oratorio romain aux histoires sacrées, titre qui promet la musique de Giacomo Carissimi, quasi fondateur de l’oratorio dans la première partie du XVIIe siècle, et maître de Marc-Antoine Charpentier qui dans son enseignement puisa la matière de ses histoires sacrées, conçues dans le dernier quart du même siècle. L’œuvre du premier nous est connue à travers les copies effectuées par ses élèves et admirateurs, sans qu’aucun manuscrit de sa main atteste des erreurs à s’y être ou non glissées. Compositeur génial, inventif et productif, Carissimi dispensait son savoir au Collegieum Germanicum de Rome, tenu par la Compagnie de Jésus. À l’annulation de l’ordre, une centaine d’années après la mort du musicien, toutes les partitions furent perdues dans la liquidation hâtive des archives, ce qui explique l’oubli dans lequel fut longtemps tenue son œuvre. En étudiant les diverses copies, ses opus furent peu à peu reconstitués. En 2008, l’Accademia di Santa Cecilia de Rome, à travers son Istituto Italiano per la Storia della Musica, s’est lancée dans une nouvelle édition complète de la musique de Carissimi qui, au final, comportera une cinquantaine de volumes. Parmi les chercheurs à insuffler ce vaste projet, il faut compter Gianluca Capuano, claviériste, chef et musicologue dont l’ensemble Il canto di Orfeo [photo] se produit en France pour la première fois cet après-midi.

La richesse de ce répertoire romain s’avère ici somptueusement servie. Sans accentuer jamais la théâtralité intrinsèque du livret (en latin), mais en laissant à la musique le soin d’en souligner les jeux éventuels, Gianluca Capuano révèle bientôt l’extrême investissement de Carissimi dont la facture toujours porte loin le renvoi des Écritures à l’« humain rien qu’humain ». Ainsi de l’histoire du mauvais riche (Historia divitis, Dives malus) dont les parties de chœurs induisent un certain humour à dessiner la vengeance du sort dans l’au-delà. L’exécution est subtilement respirée, tant de la part des instruments que par les voix. Nous entendons ensuite la brève Lamentatio damnatorum, autrement dite Lamentation des damnés, confiée à trois voix solistes, dont le ton de prime abord plus recueilli ne dédaigne pas des rebonds d’une expressivité convaincante. L’impressionnant Jonas conclut ce premier rendez-vous, une page plus contrastée encore, qui bénéficie du timbre clair à l’émission très précise du ténor Makoto Sakurada dans le « rôle-titre » (pardon d’un terme qui emprunte au vocabulaire de l’opéra). La colère de Dieu, soulevant les vents sur les flots marins, gagne un relief indicible, auquel répond bientôt la sérénité de la morale finale.

En soirée, c’est au jeune ensemble Correspondances qu’est confié l’art de Charpentier. Pour ce faire, son chef Sébastien Daucé a imaginé un parcours progressif et comparatif qui promène l’écoute entre l’Italie et la France. Pourtant, si les pièces de Charpentier s’accommodent plutôt bien d’une approche discrète, celles des Foggia, Giamberti et Melani s’y affadissent en pâleurs inquiétantes. Le Salve Regina de Francesco Foggia respire mal, Veni electa mea de Giuseppe Giamberti s’alanguit dangereusement, et c’est finalement avec les Litanies d’Alessandro Melani – dont on garde un bon souvenir de L’Empio punito [lire notre chronique du 23 juillet 2004] – que les artistes commencent à enfin dégrafer leur expression. Un mot entendu à l’entracte résumera assez justement le manque de caractère de l’interprétation : « c’est ravissant », disait une dame à demi-sourire. En seconde partie, Cæcilia virgo et martyr trouve une réalisation moins compassée et plus aboutie.

BB