Chroniques

par françois cavaillès

Georges Bizet | Carmen (version de concert)
Gaëlle Arquez, Sabine Devieilhe, Thomas Dolié, François Rougier, etc.

René Jacobs dirige l’Orchestre B’Rock et le Chœur de chambre de Namur
Philharmonie, Paris
- 14 mars 2024
René Jacobs et le B’Rock jouent "Carmen" à la Philharmonie de Paris
© ondine bertrand | cheeese

D’un Prélude passablement timide, tout juste gourmand dans le crescendo des cordes à la fin du premier thème, s’avance Carmen sans se méfier... Attention pourtant, en soirée parisienne exceptionnelle, le magnifique chef-d’œuvre de Georges Bizet, créé le 3 mars 1875 à l’Opéra Comique, est présenté de manière historique dans sa toute première version, écrite en 1874. En charge de la défendre, le maestro René Jacobs et les forces en provenance de Belgique, Orchestre B’Rock et Chœur de chambre de Namur, apportent , dans la grande salle de la Philharmonie et durant près de quatre heures, une débauche d’énergie moins instrumentale, car plutôt empreinte de grande délicatesse en la matière, que théâtrale, à l’instar du bondissant Kinderkoor Opera Ballet Vlaanderen et du généreux Zuniga de la basse Frédéric Caton, ce qui paraît plutôt inattendu en version de concert, et d’autant plus en se tenant si loin des couleurs espagnoles.

Parmi les belles surprises orchestrales figurent le joli mélodrame chambriste entre Morales et Don José, la fine dentelle après le passage de la garde et un parfum légèrement différent à la mélodie des cigarières (chœur offert en intégralité), pour garder tout de même une impression de grand opéra bien illustré, même en l’absence de trois des entractes dansés. Exit aussi la Habanera, pour un curieux air, plus rude et saccadé, aux strophes en partie modifiées, sur une ligne de chant descendant vers une étrange extrémité presque sépulcrale. Le premier acte s’achève un brin mutin, en revanche, aux sons de castagnettes et sur ces vers moqueurs : « Ah, monsieur l’officier / vous me garderez de ce gibier ». À l’Acte II, l’inédite chanson militaire de Don José, Halte là ! Qui va là ?, excelle depuis les coulisses. Si quelques autres leçons de cette Carmen embryonnaire n’ont toujours pas retenu l’attention – pardon au musicologue orthodoxe –, il en reste un très bon divertissement.

Le plateau regorge, heureusement, de talents confirmés.
Ainsi le brillant gaillard du baryton Thomas Dolié en Escamillo, l’aisance mélodiste toute française du soprano Sabine Devieilhe pour Micaëla, la bonhomie joyeuse du Remendado et du Dancaïre par les ténors Grégoire Mour et Emiliano Gonzales Toro, le Morales guindé et courtois du baryton Yoann Dubruque, les étincelantes nigaudes Frasquita et Mercedes émises par le soprano Margot Genet et le mezzo Séraphine Cotrez, un sincère Don José, bon partenaire, par le ténor François Rougier et, enfin, une vraie Carmen, très investie, fière et subtile : Gaëlle Arquez. Tous font vivre le rêve du compositeur qui, sans avoir connu la gloire de son chef-d’œuvre, disparut en 1875, l’année du silence de Rimbaud.

FC