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Chroniques
Geneviève Laurenceau joue le Premier Concerto de Saint-Saëns
Orchestre de Picardie dirigé par Jean-Jacques Kantorow
À travers la France, les célébrations du centenaire de la mort de Camille Saint-Saëns (1835-1921) offrent la chance de rappeler musiques et textes signés du grand homme. À la recherche du temps perdu, dirait-on à l’ombre d’un autre géant, Marcel Proust (1871-1922), lui aussi commémoré cette année au Festival de Laon, manifestation qui s’impose sous diverses formes comme le rendez-vous culturel majeur du Nord de la France en septembre. Mais toute l’Aisne peut aussi fêter les neuf cents ans de l’ordre des Prémontrés. Dans une telle convergence spirituelle, ce qui débute en l’Église Saint-Martin ne saurait être qu’un simple concert dominical de fin de mois.
Dans une longue lettre publiée dans Le Franco-Californien du 3 juin 1915, émise par-delà un océan et un continent depuis San Francisco, ville alors en continuelle expansion et visitée par la grande tournée américaine des quatre-vingts ans de Saint-Saëns, l’artiste synthétise toute une vie de considérations et de pratiques sur l’exécution de sa musique. Avec le regard du spationaute pour sa planète d’origine, et comme galvanisé par une nouvelle énergie atmosphérique, il revoit en rêve l’une de ses œuvres de jeunesse : « j’ai écrit un Concerto dont les deux morceaux extrêmes sont très passionnés ; ils sont séparés par un morceau du plus grand calme : un lac entre deux montagnes ».
C’est encore avec la vigueur originelle de l’enfant que ce Concerto pour violon en la majeur Op.20 n°1 est avidement attaqué par l’archet de Geneviève Laurenceau. En réponse, le large mouvement orchestral sied à merveille, puis donne la cadence aux arabesques du violon, aussi mélodique que brusque. La continuité dans le jeu et l’art de la modulation sont admirables chez la soliste, tantôt flamboyante, tantôt émouvante sous le soleil d’automne dépeint par l’Orchestre de Picardie. Le concerto aux surprenantes effusions est le discours d’une grande interprète, son beau véhicule et le nôtre pour un étrange voyage. En forme de toboggan émotionnel, mais une attraction recouverte des exploits aux expressions folles comme aux aigus merveilleux, tendus vers un final en clair-obscur. Soit un roller coaster de grand luxe !
Auparavant, la Romance Op.48 a éventé le lyrisme communément associé au violon solo. Dans un semblant d’exercice de style, et mieux qu’en démonstration, la voix sensible et perçante du Cappa, nouveau complice de Geneviève Laurenceau, prévient encore les cœurs que souffrir ensemble nourrit le plaisir pour moitié. À la compassion de cette introduction a répondu, après le bref concerto, le Caprice d’après l’Étude en forme de valse Op. 52 n°6 arrangé par Ysaÿe, avec peut-être davantage de sincérité. À l’entame de la valse, la violoniste se jette comme une lionne affamée de prouesses phénoménales, avec l’orchestre bien uni à ses côtés pour ce tour de force. Faite surtout de son amour du mystique, l’écriture musicale prend pour Saint-Saëns une force sauvage dans la rêverie et la quête des sens, à l’instar des danses hypnotiques et glossolalies des Holy Rollers californiens contemporains. En bis, la violoniste acclamée revient avec À voix nue de Benjamin Attahir (né en 1989). Gracieux à l’envol, comme un petit air de printemps, tandis que par intermittence s’élève une voix grave... Ainsi la sortie paraît peut-être moins mélodieuse qu’ensorcelante pour la virtuose alsacienne, impressionnante pour la nef bien garnie, mais encore chaleureuse comme les applaudissements.
De plus belle, la soirée remonte à une autre source, la descriptive Pastorale de Beethoven, Symphonie en fa majeur Op.68 n°6 créée à Vienne en 1808. À partir de la suavité et de la grande largeur du premier mouvement, Éveil au rendu très vivant sous la direction attentive de Jean-Jacques Kantorow, s’écoule la Scène au bord du ruisseau, en finesse, assez étourdissante avec le molto mosso indiqué par le compositeur. Surtout, après les danses paysannes, l’orchestre excelle dans l’amorce de l’orage qui s’abat précédé d’imparables coups de tonnerre. La lumière du jour peut revenir, comme par un ciel de traîne. Grandiose conclusion, l’Allegretto purifie. Cordes extatiques et trompettes glorieuses forment une exceptionnelle symbiose. Le rêve de toujours renouveler d’après Beethoven « pour les hommes le nectar délicieux » de l’inspiration est clairement audible. Il put aussi apparaître au vieux maestro français de 1915, à San Francisco, où l’Exposition universelle présentait un monumental et poétique Beethoven de bronze, sculpté par Bourdelle (1861-1929).
FC