Chroniques

par katy oberlé

Fidelio
opéra de Ludwig van Beethoven

Teatro Comunale, Bologne
- 16 novembre 2019
Un nouveau "Fidelio" (Beethoven) à Bologne, signé Georges Delnon
© andrea ranzi | studio casaluci

Il ne peut être indifférent que la première de cette production nouvelle à Bologne fût programmée au 10 novembre : il y a exactement trente ans, l’Allemagne, dont Fidelio se fait, avec son fameux chœur des prisonniers, aussi facilement l’emblème que l’Ode à la joie de la Neuvième est admise comme celui de l’Europe, l’Allemagne, disais-je, abattait le mur berlinois de honte qui séparait son peuple à la faveur de la guerre froide, soudain vaincue. Dans la nuit du 9 au 10 novembre 1989, les Allemands de l’Est et de l’Ouest se rejoignaient enfin, donnant le jour à une carte géopolitique en devenir certain, officialisée par l’Einigungsvertrag du 31 août 1990. Et dix ans après la destruction, lors du bombardement allié du printemps 1945, de la Wiener Staatsoper qui, avec le Musikverein, symbolise l’Europe musicale, destruction survenue dans les derniers temps de l’ère nazie marquée, entre autres horreurs, par la Kristallnacht du 9 au 10 novembre 1938 – quelle date, décidément –, l’édifice reconstruit était inauguré par Fidelio, précisément. Par ce spectacle que le Teatro Comunale di Bologna coproduit avec la Hamburgische Staatsoper où il fut révélé au public dès le 28 janvier 2018, la cité italienne se place également en bonne ligne des célébrations du deux cent cinquantième anniversaire de la naissance de Ludwig van Beethoven… qui ne manqueront pas de nous asphyxier en 2020 !

Abordant l’aventure Fidelio quelques jours après le grand soir, c’est dépourvue de toute fièvre commémorative que je puis l’accueillir, sans cette excitation particulière qui peut faire tout aimer trop ou détester de même. Il faut toutefois reconnaître que la mise en scène de Georges Delnon illustre bel et bien cette qualité d’emblème prise par le seul opéra de Beethoven. On croit reconnaître, dès le lever de rideau, ces immeubles du Berlin-Est des années soixante et soixante-dix, dans le décor de Kaspar Zwimpfer. Souvenez-vous, dans le livret, Florestan est un prisonnier politique : c’est dans une prison de la Stasi que le regard plonge, guidé par les lumières suggestives de Michael Bauer. Et tout du long, le défilé des tenues réglementaires, des uniformes administratifs plus que strictement militaires – Lydia Kirchleitner signe les costumes –, fait penser à la bureaucratie puissante de la dernière décennie de la RDA, telle qu’on la voit dans le film La vie des autres, par exemple (Florian Henckel von Donnersmarck, Das Leben der Anderen, 2006). Dans cet univers clairement centré sur une époque de l’Histoire, où l’appartement de Rocco, attenant au centre de détention, montre un papier peint spécifique, les citations d’Heiner Müller croisent la peinture de Jacques-Louis David et les références au Danton de Georg Büchner, via les vidéos de fettFILM : loin de s’y cantonner, le metteur en scène suisse [lire nos chroniques de Thérèse et de ...22,13...] fait adroitement rayonner l’œuvre depuis les idéaux de la Révolution française jusqu’à la chute du mur, réponses au règne du mal banalisé dont Monsieur Tout-le-monde est le lâche complice non-coupable. Les images projetée derrière la grande baie vitrée n’ont pas qu’une fonction illustrative : d’où vient ce loup au regard triste et perçant, par exemple, si ce n’est d’une énigme poétique irrésolue ?

D’un niveau appréciable, le plateau vocal n’engendre pas d’enthousiasme débridé. À part le rôle de l’intellectuel dissident, curieusement confié à Erin Caves dont la voix dure force constamment la partie de Florestan, tout le monde est bien employé. La jeune Christina Gansch (vingt-neuf ans) livre une Marzelline gracieuse dont le phrasé bien conduit mène à des demi-teintes gentiment nuancées. Le ténor clair et valeureux de Sascha Emanuel Kramer est en bonne place pour défendre un Jaquino crédible. On retrouve l’efficace Nicolò Donini en Fernando noble et bien chantant [lire nos chroniques d’Il viaggio a Reims et du Trouvère], ainsi que le baryton-basse robuste de Lucio Gallo qui donne à Pizzaro une dimension noire [lire nos chroniques de La fanciulla del West et de Don Pasquale]. La puissante basse finlandaise Petri Lindroos campe un Rocco-stentor d’un grand charisme. La souplesse et le grand format vocal du soprano dramatique Simone Schneider font les atouts de sa Leonora, longuement applaudie [lire nos chroniques de la Messe Op.37 de Braunfels, Die Walküre, Vier leztze Lieder et Salome].

La prestation du Coro del Teatro Comunale di Bologna, soigneusement préparé par Alberto Malazzi, affirme une vigueur exemplaire et la musicalité nécessaire. À la tête de l’Orchestra del Teatro Comunale di Bologna dont il est le nouveau « patron », Asher Fisch profite de l’impact incisif et léger de l’instrument pour signer une interprétation vive, contrastée, positivement cultivée, même, toujours lyrique de Fidelio [lire nos chroniques de Das Rheingold, Die Walküre, Siegfried et Götterdämmerung]. Tout donne à penser que le compagnonnage avec cette fosse donnera d’excellents résultats !

KO